
contrés à ces longues diftances en pleine
mer , 8c l’on fera convaincu qu’ils ne
tenoient pas leur route. Tous les voyageurs
attellent qu’ils font fi fatigués qu’ils fe
jettent fur les vaiffeaux, & qu’ils s’y laiffent
prendre, ou par l’impoflibilité où ils font
de fe dérober par la fuite, ou par l’effet
du fentiment intérieur de l’épuifement de
leurs forces : quelques inllans plus tard,
ces oifeaux qui en cherchant à fe fauver
deviennent la proie des matelots , tom-
boient néceffairement dans les flots 8c y .
périffoient ; ils ne fuivoient donc pas leur
route , car la nature ne fçauroit les conduire
par un chemin qui n’aboutît pas
à un terme heureux ; mais une tempête qui
s’étoit éle vé e , le vent qui avoit changé
au moment où ils traverfoient quelque
bras de mer, ou l’embouchure d’un fleuve
pour paffer fur le même continent d’une
région à une autre , les ont emportés St
pouffés en haute mer, où ils épuifoient leurs j
forces à luter contre une perte inévitable ;
ils avoient été entraînés par les courans J
de l’air St pouffés par les vents , comme
nos vaiffeaux le font fur mer, par les
eaux courantes St par la violence d’une
tempête.
Si l’on fuppofe que les oifeaux, fans
ferifquer.au deffus des mers , achèvent les
voyages les plus longs en fuivant les terres:
quelles difficultés les plus forts n’y trou-
veroient - ils pas , tandis que ces mêmes
voyages feroient impoflibles aux plus
foibles ? Comment dans tant de lieux diffc-
rens, à des hauteurs fi inégales, fous des températures
fi diverfes , rencontrer par-tout
la nourriture néceffaire 8c n’en manquer
nulle part ? Comment des animaux dont la
plupart cherchent leur vie au bord des
eaux, dans les terreins humides St maré-.
càgeux, auront - ils trouvé de quoi la
foutenir fur les montagnes les plus élévées,,
' furies lieux les plus fecs 8t les plus arides ;
St quels befoins , quels motifs enfin pour-
roient déterminer les oifeaux à ces mou-
vemens fi violens, dans lefquels les cir-
conftances changeroient fi brufquement ?
Mais , fi nous avons obfervé qu’on
trouve des oifeaux fédentaires de même.
efpèce, dans des régions très-éloignées ,'
fous les climats qui fe correfpondent ,
comme on y trouve aufîi des végétaux ,
des infeftes de même efpèce , fans en rencontrer
dans les intervalles intermédiaires,
St fans que les oifeaux , ni les végétaux
8t les infeûes, aient été tranfportés d’une
région à une autre ; n’eft-il pas probable
que la nature a aufîi placé des oifeaux de
paffage dans les régions où la température
61 les autres circonflances ont du rapport}
j Dès-lors les oifeaux de même efpèce ob-
fetvés fur les deux continens ne paffent
plus de l’un à l’autre ; aucun ne va d’une
extrémité du globe à l’extrémité oppofée
pour en revenir la même année ; mais
tous les oifeaux de paffage, avec les mêmes
befoins 8t déterminés par les mêmes motifs
, paffent fur chaque continent 8i dans
cha que partie du globe, fuivant fùn étendue ;
du nord au midi 8t du midi au nord; le
pluvier doré paffe en Amérique , de la
Louifiane à la Guiane ; en Afie , de la
Sibérie aux Indes ; en Europe , de la
France , de l’Allemagne , fur les côtes
d’Afrique ,. Stc. ; en admettant l’opinion
que je viens d’expofer, qui m’a paru vrai-
femblable, qui eft fondée fur des faits,
8c qui lève toutes les difficultés , les émigrations
ne font plus qu’uni balancement
du nord au midi, & du midi au nord ; ce
n’eft plus une partie de l’hiftoire des oifeaux
que nous ne publions comprendre',
mais dans laquelle nous fuivons pour ainfi
dire leur marche , nous connoiffons les
motifs qui les déterminent 8c les moyens
par lefquels ils exécutent leur entreprife.
Il me relie à dire un mot de quelques
oifeaux qu’on trouve fouvent en pleine
m er, fort loin des terres , qui quelquefois
paroiffent dans des pays exceffivement
éloignés de ceux qu’ils Ont coutume d’habiter
, 8c même fur les eaux douces dans
l’intérieur des terres, quoiqu’ordinairemertt
ils ne fréquentent que la mer.
Ces oifeaux ont des aîles très-grandes,
ils volent très - bien, ils font d’excellens
nageurs, la grande quantité de plumes dont
ils font couverts', les rend fi légers qu’ils
ne pourraient enfoncer dans l’eau ; aufîi
fe confient - ils aux flots agités , ils fe re-
pofent defîùs, quand ils font las de vo le r ,
aufîi tranquillement que fi ils étoient à
terre : ils font à la vérité emportés 8c
balotés par les eaux ; mais ce mouvement
auquel ils fe laiffent aller , ne leur coûte
rien St n’empêche pas qu’ils ne fe repo-
fent ; il n’efl: donc pas étonnant qu’ils
s’éloignent des terres à de très - grandes
diflances , félon que la pêche dont ils
vivent eft plus abondante loin de la cô te ,
ou ‘fuivant que le vent les en écarte , 8t
foit qu’ils s’avancent fort loin d’im feul
tra jet, ou qu’ils fe repofent par intervalles
fur les flots. Il eft encore facile de comprendre
que fi une tempête les affaille ,
elle pourra les pouffer beaucoup plus loin
qu’ils n’ont coutume de s’avancer , fans
qu’ils courent aucun rifque , parce que
par-tout ils font fur l’élément pouf lequel
ils font faits ; qu’ils y trouvent 8c la fub-
fiftance & le repos dont tous les animaux
ont befoin. Mais fi la violence , la durée
des vents les ont portés trop lo in, trop
au delà des efpaces qu’ils ont coutume de
fréquenter & qu’ils connoiffenf, lorfque,
la tempête calmée , ils- reviendront maîtres
d’eux - mêmes, ils pourront fe tromper ,
diriger leur vol du côté oppofé aux côtes
qu’ils ont coutume de fréquenter , 8c s’égarer
fur le fein des mers-; ils ne feront
qu’hors de leur route , mais ils ne feront
pas en péril ; ils voleront 8c vogueront
alternativement au hafard , s’éloignant
toujours de plus en plus des lieux fréquentés
par leur efpèce ; ils arriveront
enfin fur des côtes où on ne les voit pas
ordinairement, où inquiets dans leurs longs
trajets j'ennuyés des mers, fatigués même
à la longue de leur mouvement, ils entreront
dans des terres étrangères pour
eux par l’embouchure de quelque fleuve :
' ils remonteront contre fon cours, parce que
fes eaux deviennent pour eux un afyle ,
un lieu de repos dont ils ont befoin 8c
qu’élles leur offrent de la nourriture ; ils
s’égareront i de plus en plus, fans périr,
fans fe fixer , fans multiplier, parce
qu’ils ne fe trouvent pas en des lieux qui
-leur conviennent , parce qu’ils font difperfés
8c folitaires. C ’eft ainfi que l’oifeau
de tempête m’a été apporté vivant, après
avoir été pris à une lieue de Paris fur la
Seine ; j’ai reçu de même deux autres pé-
treles, l’un également pris fur la Seine
près de Paris , Sc un troifième tué en
Beauce. Mais je n’ai pas befoin de multiplier
ces exemples d’oifeaux de mer, tués
ou pris fur les rivières dans l’intérieur des
terres. C’eft un fait affez connu , dont les
caufes font palpables , 8c d’après lequel
on ne peut pas conclure que les oifeaux
de paffage dont l’exiftence eft différente
de celles des oifeaux de mer , foient en
état, comme eu x , de traverfer l’étendue
des mers , fixr lesquelles ils ne trouveraient
pas de même la fubfiftance 8c le
repos.
En faifant la récapitulation des faits 8c
des objets contenus dans ce difcours, nous
trouverons que leur précis fe réduit aux
articles fuivans.
i °. Les oifeaux, à raifon de la manière
dont leur vie fe paffe, peuvent être divifés
en fédentaires, erratiques , oifeaux de paffage.
i° . Les oifeaux diurnes 8c fédentaires
qui habitent dans l’ancien continent, fous
la zone torride , font tous différens des
oifeaux qui mènent le même genre de vie
fous la même zone dans le nouveau monde ;
ou au moins en comparant tous les oifeaux
obfervés fous cette zone , dans l’un 8c
l’autre continent, on n’a pas encore trouvé
la même efpèce également dans l’ancien 8c
le nouveau.
3°. Les oifeaux noûurnes , quoique fédentaires
, ont non-feulement beaucoup de
reffemblance fous la zone torride, dans
l’un 8c l’autre continent ; mais parmi ces
oifeaux, on trouve plufieurs efpèces fem-
blables 8c les mêmes également fous les
cinq zones, tant dans l’ancien que dans le
nouveau monde.
4°. Non-feulement les efpèces diurnes
8c fédentaires, font différentes fous la zone
torride dans l’ancien 8c le nouveau monde ,
mais beaucoup de genres particuliers appartiennent
fous cette zone , à l’un des
deux continens , tandis que fous les zones