
beaucoup plus grand que dans celles où le produit
eft annuel & unique : auffi les efpèces inferieures
, les petits animaux, qui tous produifent
plus foüvent & en plus grand nombre que ceux
des efpèces majeures font-elles fujette? a plus de
variétés. La grandeur du corps, cjui nç paroit
Être qu’une qualité relative, a néanmoins des
attributs pofitifs & des droits réels dans l'ordpn-
nance de la Nature ; le grand y eft auflj fixe qup
le petit y eft variable,
X,e cerf, dans les pays montueux, fec? & chauds,
tels que la Gorfe 6c la Sardaigne , a perdu la moitié
de fa'taille, & a pris un pelage brun avec
un bois noirâtre ; dans les pays froids & humides,
comme en Bohême 5c aux Ardennes, fa taule s e
agerandie, fon pelage 6c fon bois'font devenus
d’un brun prelque noir, fon poil s eft alonge au
point de former une longue barbe au, menton ;
dans le nord de l’autre continent, le bois, du,cerf
s’eft étendu 6c ramifié par des andouliers courbes.
Dans l’état de dometticité, le pelage change du
fauve au blanc , 8c à moins que le cerf ne loit
en liberté 6c dans de grands- efpac.es., fes. jambes
Je déforment & fe courbent. Je ne compte pa?
l’axis dans les variétés, de lefpece, du cerf, B
approche plus de celle du daim &r.en eft .peut-
erre qu’une variété..
Onauroit peine à fe décider fur 1 origine de. 1 efpèce
du daim; il n’eft nulle, part entièrement do.-
meftique, ni nulle paî t abfolument fauyage, il varie
aiTez indifféremment, & par - tout au;fapye au
pie , 8c du pie au blanc ; ion bois & fa mieue font
auffi plus grands & plus larges, fuivant. les différentes
races ; 8c fa chair eft bonne ou niau-vaile,
félon le terrein & le climat. On le trouve, comme
je cerf ,'dans les deux continens,.& il paroit etre
plus grand en Virginie 8c dans Tés autres provinces
de l’Amérique tempérée, au il ne: 1 eft en
Europe. 11 en eft de même du .ctçvrfwl, I J »
plus grand dans le nouveau que dans J-anoen
continent ; mais au relie. toutes. fe?- variétés ,ie
réduifent à quelques différences dans la couleur,
du poilj qui change du fauve au brun; les plus
orands chevreuils l'ont ordinairement fauves, 6c
Tes plus petits font bruns, Ce? deux elpecps, le
chevreuil 6c'le daim, font les feuls de tous les
animaux communs aux deux continent, qui ioicnt
plus grands' Ôc plus forts dans le nouveau que
$ians l'ancien.
Le fanglier a pris en Guinee des oreilles tres-
longues 6c couchées- fur Je dos ; a la Çhine , un
gro? ventre pendant 8c des jambe? fort courtes ;
Zu Cap-Vert & dans d’autres endroits, des de-
fénfes très-greffes 6c tournées comme^ des cprn.es
de boeufs f dans l’état de domefticite, il a pris
par-tout des oreilles, à demi pendantes . 8c des
fqies bjçtiiçhes çlans les g a g froufe gll te.ipperé?,
Je ne compte ni le pécari, ni le babiroufla dan*
les variétés de l’efpèçe du fanglier, parce qu’ils
ne font, ni l’un ni l’autrede cette efpèce, quoir
qu’ils en approchent de plus prçs que d’aucune
autre.
Le lièvre elt d’une nature flexible & ferme en
même-tempscar il eft répandu dans prefque tous
les climats de l’ancien continent, ôc par-tout U eft à-peu-près le tnême ; feulement fon ppil blan*
çhit pendant l’hiver dans les climats très-froids» ôc il reprend en été fa cpuleijr naturelle , qui
ne varie que du fauve au roux ; la qualité de
fa chair varie’ de même. Les lièvres les plus
rouges font toujours les meilleurs à manger.
Mais le lapin, fans être d’une nature aufli flexible
que le. lièvre , puifqu’ii eft beaucoup moins
répanduôc que même il.paroît confiné à de certaines
contrées , eft néanmoins■ fu]et à plus de
variétés, parce que le lièvre eft fauvage partout,
au lieu que le lapin eft prefque. par- tout
à demi çïomeftique. Les lapins clapiers ont varié
par la couleur du fauve au gris , au blanc,
au noir. ; ils ont aufli varié pour la grandeur,
la quantité ôc qualité du poil : cet animal qui eft
originaire d’Eipagne , a pris en Tartarie une
queuelppgue ? en Syrie du poil touffu ôc pelotonné
comme d.u feutre, &c.
On trouve quelquefois des lièvres noirs.. dans
les pays froids ; on prétend aufli qu’il y a dans
la Norvège & dans quelques-rautr.es provinces du
Nord des lièvres qui ont des cornes.
' M. Klein a fait graver deux de ces lièvres çorr
pus’. Il eft aifé de juger , à l’infpe&ion dès figures.,
que ces cornes font des bois, femblâbles au bois
du chevreuil; cette variété,fi. elle exifte , n’eft
qu’individuelle , & ne fe manifefte; probablement
que dans les endroits oti le lièvre ne trouve, point
d’herbes, & ne peut fe nourrir'que de fubftances
ligneufes, d’écorce?'de boutons, de feuifle d’arbres ,
de licheps , ôcç.
L’élan ,'do.nt 1’efpèce eft .confinée, dans; le Nord
des deux çontinens , eft feulement plus- petit en
Amérique, qu’en Eprope , & l’on voit;, par lëf
énormes bois que l’on a trouvés fous terre en
Canada , en Rulïié , en Sibérie , Ôcc. qu’autrefois
,çes animaux étoient plus grands qu’ils ne le font
aujourd’hui f peut-être j cela vient-il cfe G<?
jouiflbient en toute- tranquillisé de leurs • forêts ,
'& que n-étant-,point inquiétés par l’homme, qui
n’avpit pas encore pénétré dans ces climats, ils
etoient maîtres de choifir Jeiir demeüre dans les
. endrpits ou l’airïla terre ôç l’eau leur cqnvenoient
fe mieux.
Le renne, que les lapons ont .rendu domeftique ,
a , par cette ïàifon plus change que l’élan , qui
n’a jamais été réduit en fervitude ; les rennes
fauvage s font plus grands , plus forts çç d’un poil
j n p
\
plus noir que les rennes domeftiques i ceux-ci ont
beaucoup varié pour la couleur du poil, ôc aufli
pour la grandeur ôc la groffeur du bois ; cette
efpèce de lichen ou de grande moufle blanche ,
qui fait la principale nourriture du renne , femble
contribuer beaucoup par fa qualité à la formation
ôc à l’accroiflement du- bois , qui, proportionnellement,
eft plus grand dans le renne que dans
aucune autre efpèce ; & c’eft peut-être cette même
nourriture qui, dans ce climat, produit du bois
fur la tête du lièvre, comme fur celle de la femelle
du renne ; car, dans tous les autres climats,
il n’y a ni lièvres cornus , ni aucun animal dont
la femelle porte du bois comme le mâle.
Et comme tout eft fournis aux loix phyfiques ,
ÔC que les animaux éprouvent, encore plus immédiatement
que l’homme , les influences du ciel
ôc de la terre , il femble que les mêmes caufes
qui ont adouci , civilifé l’efpèce humaine dans
nos climats , ont produit de pareils effets fur toutes
les autres efpèces: le loup qui, dans cette zone
tempérée , eft peut-être de tous les animaux le
plus féroce » n’eft pas , à beaucoup près , aufli
terrible, aufli cruel que le tigre, la panthère,
le lion de la zone torride , ou l’ours blanc , le
loup-cervier, l’hyène delà zone glaciale. Et non-
feulement cette différence fe trouve en général,
comme fi la Nature , pour mettre plus de rapport
6c d’harmonie dans fes productions , eût fait le
climat pour les efpèces ou les efpèces pour le
climat, mais même on trouve dans chaque efpèce
en particulier, le ^climat fait pour les moeurs ôc
les moeurs pour le climat.
En Amérique, où les chaleurs font moindres, 6h l ’air ôc la terre font plus doux qu’en Afrique ,
quoique fous la même ligne, le tigre, le lion,
la p'anthère n’ont rien de redoutable que le nom;
ce ne font plus ces tyrans des forêts , ces ennemis
de l’homme, aufli fiers qu’intrépides , ces monftres
altérés de fang ôc de carnage ; ce font des animaux
qui fuient d’ordinaire devant les hommes qui,
loin de les attaquer de front , loin même de
faire la guerre à force ouverte aux autres bêtes
fauvages , n’emploient le plus fouvent que l’artifice
ôt la rufe pour tâcher de les furprendre ;
ce font des animaux qu’on peut dompter comme
les autres ôc prefque apprivoifer. Ils ont donc
dégénéré , fl leur nature étoit la férocité jointe
la cruauté , ou plutôt ils n’ont qu’éprouvé l’influence
du climat. Sous un ciel plus doux , leur
naturel s’eft adouci ; ce qu’ils avoient d’exceflif
s’eft tempéré, ôc par les changemens qu’ils ont
fubis , ils font feulement devenus plus conformes
à la terre qu’ils ont habité.
Les végétaux qui couvrent cette terre , ôc qui
y font encore attachés de plus près que l’animal
qui broute, participent aufli plus que lui à la nature
du climat ; chaque pays , chaque degré de tem-
Hijîoiu Naturelle. Tcvrc,
pérature a fes plantes particulières ; on trouver
au pied des Alpes celles de France ôc d’Italie ;
on trouve à leur fommet celles des pays du
Nord. On retrouve ces mêmes plantes du. Nord
fur les cimes glacées des , montagnes d’Afrique*
Sur les monts qui féparent l’empire du Mogol du
royaume de -Cachemire , on voit, du côté du
Midi, toutes les plantes des Indes , & l’on eft
furpris de ne voir de l’autre côté que des plantes’
d’Europe.
C ’eft aufli des climats exceffifs que l’on tire les
drogues, les parfums , les poifons ôc toutes les
plantes dont les qualités font exceflives ; le climat
tempéré ne produit au contraire que des chofes-
tempérées : les herbes les plus douces , les légumes
les plus fàins , les fruits les plus fuaves
les animaux les plus tranquilles, les hommes les
plus polis, font l’apanage de cet heureux climat.
Ainfi, la terre fait les plantes ; la terre & les
plantes font les animaux ; la terre, les plantes ôc
les animaux font l’homme : car les qualités des-
végétaux viennent immédiatement de la terre ÔC,
de l’air ; le tempérament ôc les autres qualités»
relatives des animaux qui paillent l’herbe, tiennent
de près à celle des plantes dont ils fe nourriffent j
enfin , les qualités phyfiques de l’homme ôc des
animaux qui vivent fur les autres animaux autant
que fur les plantes , dépendent, quoique de plu»
loin , de ces mêmes caufes dont l’influence s’étend
jufque fur leur naturel ôc fur leurs moeurs.
Et ée qui prouve encore mieux que tout fe
tempère dans un climat tempéré, ôc que tout eft
excès dans un climat exceflif , c’eft que la
grandeur ôc' la forme qui paroiflent être des
qualités abfolues , fixes ôc déterminées , dépendent
cependant, comme les qualités relatives 3 de l’influence
du climat : la taille de nos animaux qua-.
drupedes ii’approche pas de celle de l’éléphant 9
du rhinocéros, de l’hippopotame ; nos plus gros
oifeaux font fort petits, fi on les compare à l’autruche
, au condor , au cafoar ; ôc quelle com-
paraifon des poiffons , des lézards, des ferpens
de nos .climats avec les baleines, les cachalots 9
les nanvhals qui peuplent les mers du Nord, ôc
avec les crocodiles, les grands lézards ôc les
couleuvres énormes qui infe&ent les terres ôc les
eaux du Midi ? Et fl l’on confidère encore chaque
efpèce dans différens climats 9 on y trouvera des
variétés fenfibles pour la grandeur ôc pour la
- forme ; toutes prennent une teinture plus ou moins
forte du climat. Ces changemens ne fe font que
lentement, imperceptiblement ; le grand ouvrier
delà Nature eft le temps : comme il marche
toujours d’un pas égal, uniforme ôc réglé , il ne
fait rien par fauts , mais tout par degrés , par
nuances , par fucceflion ; ôc ces changemens. ,
d’abord imperceptibles, deviennent peu à peu
fenfibles, Ôc fe marquent enfin par des réfultat$
auxquels on ne peut fe méprendre.