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Q u a d r u p è d e s ( les ) ou animaux à quatre 1
pieds , peuplent la terre 8c femblent en jouir
conjointement avec l’homme, 8c plus immédiatement
, plus pleinement que le refte des animaux,
oifeaux, poiffons ou reptiles. Néanmoins quelques-
uns d’entr’eux fe plongent dans les eaux , ou fe
portent dans les airs ; & quoique ceux-ci foient
moins complettement, moins exactement quadrupèdes
, on ne laiffe pas de leur en donner le
nom 8c de les comprendre fous cette dénomination
générale 8c collective des animaux tçr-
reftres.
Mais il eft effentiel d’en faire la remarque :
le nom de quadrupède fuppofe rigoureufement
que l’animal ait quatre pieds : s’il manque de deux j
pieds, comme le lamantin , s’il a des bras 8c des
mains, plutôt que des pieds, comme le finge ,
ou des ailes, comme la chauve-fouris , il n’eft
plus quadrupède, 8c l’on fait abus de cette dénomination
générale , lorfqu’on l’applique à ces
animaux.
Pour qu’il y ait de la précifion dans les mots ,
il faut de la vérité dans les idées qu’ils repré-
fentent. Faifons pour les mains un nom pareil à
celui qu’pn a fait pour les pieds , 8c alors nous
dirons avec vérité 8c précifion , que l’homme
eft le feul qui foit bimane 8c bipède, parce qu’il
eft le feul qui ait deux mains Sc deux pieds ; que
le lamantin n’eft que bimane ; que la chauve-fouris
n’eft que bipède, 8c que le finge eft quadrumane.
Maintenant appliquons ces dénominations générales
à tous les êtres particuliers auxquels elles
conviennent ; nous trouverons que fur environ deux
cens quarante efpèces d’animaux qui peuplent la
furfacede la terre, & auxquelles on a donné le
nom commun de quadrupède » il y a d’abord
trente-cinq efpèces de finges, babouins , guenons
, fapajous , fagoins & -makis , qu’on doit
en retrancher , parce qu’ils font quadrumanes ;
qu’à ces trente cinq efpèces , il faut ajouter celles
du loris, du farigue, de la marmofe , du cayopollin,
du tarfier , du phalanger, 8c c. qui ont aufti
quatre mains, plutôt que quatre pieds , comme
les finges , guenons , fapajous 8c fagoins ; que
par conféquent, la lifte des quadrumanes étant,,
de quarante ou cinquante efpèces , le nombre*
réel des quadrupèdes eft déjà réduit d’un cin*
quième.
Qu’enfuite ôtant quinze ou vingt efpèces de
bipèdes, {çavoir les chauves-fouris 8c les roufiettes,
dont les pieds de devant font plutôt des ailes que
des pieds , 8c en retranchant aufti trois ou quatre
gerboifes , qui ne peuvent marcher que fur les
pieds de derrière, parce que ceux de devant font
trop courts ; en ôtant encore le lamantin, qui n’a
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point de pieds de derrière , les morfes, le dugon
8c les phoques , auxquels ils font inutiles , ce
nombre des quadrupèdes fe trouvera diminué de
prefque un tiers ; 8c fi on vouloit encore en
louftraire les animaux qui fe fervent des pieds de
devant comme de mains , tels que les ours, les
marmottes , les coatis, les écureuils, les rats 8c
beaucoup d’autres , la dénomination de quadrupède
paroîtroit mal appliquée à plus de la moitié des
animaux.
En effet y les vrais quadrupèdes font les folipèdes
8c les pieds-fourchus ; dès qu’on defcend à la claffe
des JîJJipèdes, on trouve des quadrumanes ou des
quadrupèdes ambigus , qui fe fervent de leurs
pieds de devant comme de mains, 8c qui doivent
être féparés ou diftingués des autres.
Il y a trois efpèces de folipèdes , le cheval ,
le zèbre 8c l’âne, auxquels il paroît qu’il faut joindre
le czigitai ; en y ajoutant l’éléphant ,1e rhinocéros ,
l’hippopotame 8c le chameau, dont les pieds, quoique
terminés par des ongles, font folides, 8c ne
peuventfervir qu’à marcher, l’on a déjà fept efpèces
auxquelles le npm de quadrupède convient parfaitement.
Il y a un beaucoup plus grand nombre de pieds-
fourchus que de folipèdes : les boeufs, les béliers 9
les chèvres, les gazelles , les bubales, les çhe-
vrotains, le lama , la vigogne, la giraffe , l’élan ,
le renne , les cerfs, les daims , les chevreuils, 8cc.
font tous des pieds-fourchus , 8c compofent en tout
un nombre d’environ cinquante çfpèces. Ainfi ,
voilà déjà foixante animaux, c’eft-à-dire , huit
folipèdes , 8c le refte de pieds-fourchus, auxquels
le nom de quadrupède a été bien appliqué.
Dans les fiflipèdes , le lion , le tigre , la pan-
I thère , le léopard , le lynx , le chat, le loup , le
chien , le renard , l’hyoene, les civettes , le blaireau
, les fouines, les belettes , les furets, les
porcs-épics, les hériffons , les tatous , les four-
milliers , ( 8c les cochons, qui font la nuance entre
les fiflipèdes 8c les pieds-fourchus ) , forment un
nombre de plus de quarante autres efpèces auxquelles
le nom de quadrupèdes convient aufti dans
toute là rigueur de l’acception ; parce que, quoiqu’ils
aient le pied de devant divifé en quatre ou
• cinq doigts , ils ne s’en fervent jamais comme
de main : mais tous les autres fiflipèdes qui fe
fervent de leurs pieds de devant pour faifir &
porter à leur gueule, ne font pas de purs quadrupèdes
; ces efpèces, qui font aufti au nombre
de plus de quarante, font une claffe intermédiaire
entre les quadrupèdes 8c les quadrumanes , 8c ne
font précifement ni des uns ni des autres.
Il y a donc dans-le réel plus d’un quart des
animaux auxquels le nom de quadrupède ,
■ Sc plus d’une moitié auxquels il ne convient pas
dans toute l’étendue de fon acception.
Les quadrumanes rempliffent le grand intervalle
qui fe trouve entre l’homme 8c les quadrupèdes ;
les bimanes font un terme moyen dans la diftance
encore plus grande de l’homme aux cétacés ; les
bipèdes , avec des ailés , font la nuance des quadrupèdes
aux oifeaux , Sc \zs fiflipèdes qui fe fervent
de leurs pieds comme de mains , rempliffent tous
les dégrés qui fe trouvent entre les quadrumanes
Sc les quadrupèdes.
Cette analyfe dont l’on fent la juftefle, décèle
un des principes de la foibleffe de l’efprit humain ,
dans celle même de fes opérations qui femble
être la plus parfaite ; je veux dire la formation
des idées 8c des dénominations générales : fous
ces termefc généraux , il énonce comme femblables
des objets dont plufieurs ne le font qu’à demi :
il fait une fomme , dont il faut toujours fouftraire
quelque partie , 8c réalifant enfuite une formule ,
inventée feulement pour aider la mémoire 8c fup-
pléer à la trop petite capacité de l’entendement, il
prend cette notion abftraite 8c générale pour
quelque chofe d’exiftant, 8c impute à la Nature
ce qui n’eft que fon ouvrage. Ainfi fe rallient
confufément, fous une dénomination commune ,
des êtres 8c même des claffes d’êtres qui deman-
deroient des noms tout différens.
Ce vice métaphyfiqüe eft encore celui qui rend
& rendra toujours, en Hiftoire Naturelle , les
méthodes défeétueufes, toutefois que l’on voudra
leur attribuer plus de réalité 8c de valeur que
n’en ont en effet des méthodes, qu’on ne doit
regarder que comme des tables faites pour aider !
la mémoire , 8c non comme des plans ni des
tableaux tracés fur le deffein de la Nature.
Mais l’inconvénient fera d’autant plus grand,
que ces méthodes s’attachant à de plus petits caractères,
rapprocheront plus arbitrairement 8c plus
forcément des êtres qui, n’ayant entr’eux que ces.
foibles 8c frivoles analogies, s’éloignent du refte
8c 1e repouffent par les différences les plus intimes
8c les plus grandes.
C’eft méconnoître la marche de la Nature ,
qui fe fait toujours par nuances , que de vouloir
juger d’un tout par une feule de fes parties :
erreur bien évidente , 8c qu’il eft étonnant de
retrouver par-tout ; car, prelque tous les Nomen-
clateurs n’ont employé qu’une partie , comme
les dents, les ongles ou ergots pour ranger les
animaux , les feuilles ou les fleurs , pour diftri-
buer les plantes, au lieu de fe fervir de toutes
les parties 8c de chercher les différences ou les
reffemblances dans l’individu tout entier.'
' C’eft renoncer volontairement au plus grand
nombre des avantages que la, nature nous offre
pour la connoitre , que de refufer de fe fervir de
toutes les parties des objets que nous conftdérons j
8c quand même on feroit affuré de trouver dans
quelques parties prifes féparément, des caractères
conftans 8c invariables, il ne faudroit pas pour,
cela réduire la connoiffance des productions naturelles
à celle de ces parties confiantes qui ne
donnent que des idées particulières 8c très-imparfaites
du tout, 8c le feul moyen de faire une
méthode inftruCtive 8c naturelle c’eft de mettre
enfemble les chofes qui, en effet, fe reffemblent, 8ç
de féparer celles qui diffèrent les unes des autres.
Si les individus ont une reffemblance parfaite ,
bu des différences fi petites qu’on ne puiffe les
appercevoir qu’avec peine , ces individus feront
de la même elpèce ; fi les différences commencent
à être fenfibles, 8c qu’en même temps il y ait
toujours beaucoup plus de reffemblances que de
différences, les individus feront d’une autre elpèce,
mais du même genre que les premiers ; 8c fi ces
différences font encore plus marquées , fans cependant
excéder les reffemblances , alors les individus
feront non-feulement d’une autre efpèce,
mais même d’un autre genre que les premiers Sc
les féconds , 8c cependant ils feront encore de la
même claffe , parce qu’ils fe reffemblent plus qu’ils
ne diffèrent.
Mais fi , au contraire , le nombre des différences
excède celui des reffemblances , alors les individus
ne font pas de la même claffe.
Voilà l’ordre méthodique que l’on doit fuivre
dans l’arrangement des productions naturelles ;
bien entendu que les reffemblances 8c les différences
feront’ prifes, non-feulement d’une partie *
mais du tout enfemble, 8c que cette méthode
d’infpeétion fe portera fur la forme, fur la grandeur,
fur le port extérieur, fur les différentes parties f
fur leur nombre , fur leur pofttion , fur la fubf*
tance même de la chofe , 8c qu’on fe fervira de
ces éîémens en petit ou en grand nombre, à
niefure qu’on en aura befoin ; de forte que fi un
individu , de quelque nature qu’il foit, eft d’une
figure affez fingulière pour être toujours reconnu
au premier coup d’oeil, on ne lui donnera qu’un
nom ; mais fi cet individu a de commun avec
un autre la figure , 8c qu’il en diffère conftamment
par la grandeur, la couleur , la fubftance , ou par
quelque autre qualité très-fenfible, alors on lui
donnera le même nom en y ajoutant un adjeétif
pour marquer cette différence ; & ainfi de fuite
en mettant autant d’adjeétifs qu’il y a de différences
, on fera fur d’exprimer tous les attributs
différens de chaque efpèce , 8c on ne craindra pas
de tomber dans les inconvéniens de rapprocher
forcément les êtres les plus difparates.
Entrons là-deffus dans fexamen des méthodes
formées par les Naturaliftes pour claffer les quadrupèdes
, 8c pour en mieux voir fortir les défauts
dont nous parlons, commençons par la plus fa-
meufe.