
Une "femme qui avoit été long - temps
malade d’un coup qu’elle avoit reçu au
dos , fe trouva d’abord un peu mieux.
Mais quelques jours après elle retomba, &
fentit une difficulté d’avaler, accompagnée
d’un dégoût général. Depuis cette époque,
qui arriva au mois de Décembre 1667 ,
elle s’abftint de toute nourriture , & renonça
même peu-à-péu à toute efpèce de
boiffon, excepté que de loin en loin on lui
verfoit dans la bouche , à l’aide d’une
plume , quelques gouttes de jus de pruneaux
, ou d’eau fucrée , ou de jus de
raifins cuits au foleil. Elle avoit paffé
ainfi treize mois , lorfque Henri Samfon
rendit cette obfervation publique. Cette
femme n’évacuoit rien ni par le vomiffe-
ment , ni par les déjeftions ordinaires,
ni par la voie des urines. On lui trouvoit
feulement les paumes des mains humides.
Elle avoit le vifage affez bon , la voix
lonore ; mais Ion corps etoit extrêmement
maigre , & le ventre étoit- retiré
jùfqu’à l’epine du dos. Elle dormoit
rarement, & fes foeurs affuroient qu’elle
etoit reliée pendant cinq femaines dans
une infomnie continuelle. Elle fut vifitée
par une foule de curieux , & de gens de
l ’art , qui paflèrent alternativement les
nuits auprès d’e lle , pour s'affiner qu’il n’y
avoit aucune fraude dans un fait auffi
fingulier, & qui demeurèrent convaincus
qu’on ne leur en avoit point iffipofé.
Parmi une multitude d’exemples du
même genre , Schurigius cite une Allemande
qui paffoit quelquefois trente jours
fans manger. Il rapporte auffi qu’il y avoit
à Cologne , fous le règne de Frédéric I I ,
un homme mélancolique , qui vécut fept
femaines, fans prendre d’autre nourriture
qu’un verre d’eau froide tous les jours,
ou feulement de deux jours l’un. On l’avoit
enfermé & fait garder avec foin pendant
ce temps , dans un lieu étroit , fur la
porte duquel on avoit même appofé des
fceaux -, qui forent trouvés entiers.
Notre Auteur cite encore des exemples
de perfonnes qui ont paffé un temps confidérable
fans boire. De ce nombre fut une
jeune fille, q u i, malgré les ardeurs de la
canicule , fe contenta pendant huit jours,
pour tout rafraîchiffement, de rouler dans
fa bouche de petits cailloux, qui, à l’entendre,
lui tenoient lieu de boiffon ; un
Napolitain, qui, pendant tout le cours.de
fa vie , ne prit aucun liquide ; une dame
d’une naiffance diftinguée, qui eut toujours
une averfion invincible pour toute efpèce
de boiffon ; une autre qui, malgré fa foif
extrême, ne pouvoit rien boire fans être
aufîi-tôt attaquée de vomiffemens& d’autres
accidens fâcheux, enforte qu’elle vécut
foixante jours dans une entière privation
de tout liquide ; un enfant qui depuis fon
fevrage ne s’étoit défaltéré durant trois
ans qu’en mangeant des pommes récemment
cueillies ; fon dégoût pour la boiffon
lui venoit, dit-ôn, de fa mère, à qui,
pendant fa groffeffe , on avoit refofé un
jour de donner à b o ire , lorfqu’elle le
demandoit ; enfin un jeune homme à qui
on ne put jamais faire prendre une feule
goûte ni de vin ni de bierre, ni même
d’eau pure, ce que l’on trouvoit d’autant
plus furprenant, que fon père étoit un des
plus grands buveurs que l’on connût (a). *
Le toucher.
* Tous les organes de nos fens, excepté
celui du toucher, ont été circonfcrits dans
de petits efpaces par l’Auteur de la Nature,
qui les a difpofes en même temps de la
manière la plus avantageufe & dans la parT
tie la plus noble & la plus élevée du corps
humain. Les objets extérieurs qui occafion-
nent des impreffions fur les organes de la
v u e , de Fouie & de l’odorat, fe trouvant
placés à une certaine diflance, & agiffimt
par des lignes ou par des rayons qui fe
croifent dans tous les fens,& ont une multitude
dépeints communs de réunion,quelque
pofition que prenne l’organe, il recevra
ces impreffions, toutes les fois qu’aucun
obftacle ne s’y oppofera. Quant au goût, il
a été fitué intérieurement auprès du paffage
(a) Extrait de l'Ouvrage de Schurigius, qui a pour titre : Chylologioe, &c. in-4°. Drefdæ, t y i j .
des alimens, dont il efl defliné à faire l’ef-
fai. Mais le fens du toucher occupe todte
l’habitude de notre corps, & l’on conçoit
aifément toute la fageffe de cette difpofi-
tion, lorfque l’on confidère combien il
étoit intéreffant que nous foffions avertis
à l’inflant de l’aéhon immédiate des corps
étrangers fur nptre propre corps, à quel-
qu’endroit qu’elle s’y exerçât.
Le toucher réfide dans la main d’une
manière plus variée & plus parfaite que
dans le refie du corps. Cette partie étant
féparée en plufieurs doigts qui ont des
articulations, & dont l’extrémité efl fou-
tenue par l’ongle, comme par un point
d’appui, a la faculté de faifir fortement les
objets, de les parcourir en les palpant, de
s’appliquer exaftement, & de fe mouler,
pour-ainfi-dire, fur leur furface. A l’aide de
cette ftniélure admirable de la main, nous
apprenons à juger avec certitude de la
forme des objets extérieurs, de leur mol-
leffe ou de leur dureté, du degré de leur
poli, en un mot, de tout ce qui concerne
leurs différens états fenfibles.
Le toucher efl de tous nos fens le moins
fufdeptible d’occafionner des illufions. Cependant
nous pouvons en faire naître par
fon moyen , lorfqu’une des parties qui
l’exercent ne fe trouve plus à fa place naturelle,
Si l’on fait paffer, par exemple, le
troifième doigt par-deffus l’index, enforte
que ces deux doigts fe croifent, & fi l’on
place un petit corps rond de manière qu’il
foit touche à-la-fois par les extrémités de
ces mêmes doigts , èn appuyant fur le corps
& en le faifant un peu tourner, on éprouvera
la même fenfation que s’il y avoit
deux corps. On pourroit comparer cette
illufion, produite par le déplacement d’un
de nos doigts, à celle qui a lieu dans le
firaiifme, lorfque Lun des deux yeux fe
trouvant dérangé de fa pofition naturelle,
nous voyons deux objets au lieu d’un
feul.
Lorfq u’un de nos membres, tel que le
nras, s’engourdit pendant le fommeil, par
1 effet d’une mauvaife pofition que nous
avons prife, & qu’au moment du réveil la
tnain qui appartient à ce bras repofe fur
quelque partie du corps, nous reffentons
un mouvement de frayeur, comme fi nous
-étions touchés par quelqu’u n, l’engour-
diffement nous rendant comme étrangère,
pour l’inflant, la main dans laquelle il fe
fait fentir.
Les aveugles, obligés de fuppléer au
défaut d’un fens par l’ufage de l’autre,
exerceht l’organe du toucher plus fréquemment
que ceux qui jouiffent de la v u e , &
acquièrent quelquefois une fi grande fineffe
de taél, qu’on pourroit prefque l’appeller
une nouvelle façon de voir. Le célèbre
Saunderfon avoit perdu la vue dès fa plus
tendre enfance. Il donnoit cependant des
leçons d’optique, & on dit qu’il n’avoit
befoin que de parcourir avec fes mains une
fuite de médailles , pour difeerner les
fauffes , même lorfqu’elles étoient affez
bien contrefaites pour tromper les yeux
d’un connoiffeur. Il jugeoit de l’exaclitude
d’un infiniment de mathématiques, en faifant
paffer fes doigts fur les divifions. Les
moindres viciffitudes de l’atmofphère l’af-
feéloient, & il s’appercevoit, fur-tout dans
les temps calmes, de lapréfence des objets
peu éloignés de lui. Un jour qu’il affifloit
dans un jardin à des obfervations aflrono-
miques, il diflingua , par l’impulfion de
l’air fur fon vifage, le- temps oà le foleil
étoit couvert de nuages *.
Sens de la. vue.
Ce n efl point ici le lieu de donner
une defeription des différentes parties de
l’organe de la v u e , ni de déterminer, avec
precifion, la marche que fuivent les rayons
qui deffinent au fond de nos yeux les
images des objets. Nous nous bornerons
à ce qui fe paffé de plus ordinaire dans le
développement du fens de la vue & dans
les effets de la vifion.
Suivant M. le Comte de Buffon , fi l’on
examine les yeux d’un enfant, quelques
heures ou quelques jours après fa naiffance
, on reconnoît aifément qu’il n’en
fait encore aucun ufage. Ce n’efl qu’au bout
d’un mois ou environ , qu’il paroît que
l’oeil a pris de la folidité, & le degré de