
toutes, les impulfions de la nature. La femelle
porte deux ans ; lorfqu’elle eft pleine , le mâle
s’en abftient., & ce n’eft qu’à la troifièmè année
que renaît la faifon des amours. Ils ne produifènt
qu’un petit, lequel, au moment de fa naiflan.ee,,
a des dents, ôc eft. déjà plus gros qu’un fanglier ;
mais les défenfes ne font pas encore apparentes ;
elles commencent à percer peu de temps après,
& à l’âge de fix mois, elles font de quelques;
pouces de longueur, j j éléphant, à ftx mois , eft
déjà plus gros qu’un boeuf, & les défenfes continuent
de grandir ôc de croître jufqu’à l’âge-
avancé , pourvu que l’animal fe porte bien ôc
foit en liberté ; car l’efclavage ôc les alimens
apprêtés détériorent fon tempéramment, ôc changent
fes habitudes naturelles. On vient à bout
de le dompter, de le foumettre , de l’inftruire ;
& comme ii eft plus fort ôc plus intelligent qu’un
autre, il fert plus à propos , plus puiflamment
& plus utilement ; mais apparemment le dégoût
de fa fttuation lui refte au fond du coeur ; car ,
quoiqu’il reflente de temps en temps les plus vives
atteintes de l’amour , il ne s’accouple ni ne produit
dans l’état de domefticité. Sa paflion contrainte
dégénère en fureur ; ne pouvant fe fatis-
faire fans témoins , il s’indigne, il s’irrite , il devient
infenfé, violent ; ôc, dans ces momens , il
eft plus dangereux que tout autre animal indompté.
On a inutilement eflayé de les multiplier.comme,
les autres animaux domeftiques , ôc’l’on eft obligé
de féparer les mâles des femelles , pour rendre
moins fréquens les accès' d’une chaleur ftérile
qu’accompagne la fureur. Il n’y a donc point Ôl éléphant
domeftique qui n’ait été lauvage auparavant ;
hormis qu’il ne foit né d’une mère fauvage, prife
pleine ; la manière de les prendre, de les dompter,
de les foumettre, mérite une attention particulière.
Au milieu des forêts Ôc dans un lieu voifin de
ceux qu’ils fréquentent , on choifit un efpace
qu’pn environne d’une forte paliffade ; les plus,
gros arbres de la forêt fervent de pieux principaux
, contre lefquels on attache des traverfes de
charpente qui foutipnnent les autres pieux. Cette
paliffade eft faite à çlaire-voie , enforte qu’un
homme peut y paffer aifément ; on y laifle une
autre grande ouverture par laquelle Y éléphant peut
entrer , ôc qui eft furmontée d’une trape fufpen-
due , & qu’on fait tomber après, lui. Pour l’attirer
jufques dans cette enceinte , il faut l’aller chercher,
On conduit une femelle en chaleur ÔC privée
dans la forêt, ôc lorfqu’on imagine être à portée
de la faire entendre , fon gouverneur l’oblige à
faire le cri d’amour ; le mâle fauvage y répond
£ l’inftant, ôc fe met en marche pour la joindre.
On la fait marcher elle-même , en lui faifant de
temps en temps répéter l’appel. Elle arrive la
première à l’enceinte , où le mâle la fuivant à
la pifte , entre par }a même porte. Dès qu’il fe
yoit enfermé, fon ardeur s’évanouit ; & lorfqu’il
ppperçoit les çfyaffeurs, elle fe change en fureur.
On lui verfe des fc.eaux d’eau fur le corps pour
l’adoucir ; on lui jette des cordes à noeuds cou-
lans pour l’arrêter ; on lui met dés entraves aux
jambes & à la trompe ; on amène deux ou trois
éléphans y nvhs ôc conduits par des hommes adroits,
qui réufliffent à les attacher avec Y éléphant fauvage
; enfin on vient à bout, par adreffe , par
force , par tourment & par carefle , de le dompter
en peu de jours. Cette chafle fe fait différemment
, fuivant les différens pays, & fuivant la
puiffance ôc les facultés de ceux qui font la guerre
aux éléphans ; car , au lieu de conftruire, comme
les rois de Siam, des murailles , des terraffes ,
ou de faire des. paliffades , des parcs ôc de vaftes
enceintes , les pauvres Nègres fe contentent de
creufer fur leur paffage des folles allez profondes
pour qu’ils ne puiffent en fortir lorfqu’ils y font
tombés.
L’éléphant une fois dompté , devient le plus
doux , le plus obéiffant de tous les animaux ; il
s’attache à celui qui le fojgne ; il le carefle, le
prévient, ôc femble deviner tdùt ce qui peut lui
plaire. En peu de temps., il vient à comprendre
les fignes, ôc même à entendre l’exprelnon des
fons ; il diftingue le ton impératif, celui de la
colère ou de la fatisfa&ion, ÔC il agit en çon-
féquence. Il ne fe trompe point à la parole de
fon maître ; il reçoit fes ordres avec attention,
les exécute-avec prudence , avec empreffement,
fans précipitation ; on lui- apprend aifément à
fléchir les genoux, pour donner plus de facilité à
vCeux qui veulent le monter. Il carefle fes amis
avec fa trompe , en falue les gens qu’on lui fait
remarquer ; il s’en fert pour enlever des fardeaux j
ôc aide lui-même à fe charger. Il fe laifle vêtir ,
& femble prendre plaifir à fe voir couvrir^ de
harnois dorés ôc de houffes brillantes ; on l’attelle ,
on l’attache par des traits à des charriots , des
charrues , des navires , des cabeftan». Il tire également
, continuement & fans fe rebuter, pourvu
qu’on ne l’infulte pas par des coups donnés mal-
. a-propos, ôc qu’on ait l’air de lui favoir gré de
la bonne volonté avec laquelle il emploie fes
forces. Celui qui le conduit ordinairement , ÔC
qui s’appelle , aux Indes , le cornac , eft monté
fur fon cou, ôc fe fert d’une verge de fer dont
l’extrémité fait le crochet , ou qui eft armée d’un
poinçon, avec lequel on le pique fur la tête à
côté des oreilles, pour l’avertir, le détourner,
ou le preffer ; mais fouvent la parole fuffit, fur+
tout s’il a eu le temps de faire connoiffance complexe
avec fon cornac , & de prendre en lui
une entière confiance. Son attachement devient
quelquefois fi fort, fi durable, Ôc ion affe&ion fi
profonde , qu’il refufe ordinairement de fervir
lous tout autre, & qu’on l’a quelquefois vu mourir
de regret,- d’avoir, dans un accès de colère ,
tué fon conducteur,
L’efpèce de Yéléphant ne laifle pas d’être nom*
breufe, quoiqu’il ne produite qu’une fois &. un
feul petit tous .les deux ou trois ans i parce
que la durée de la vie compenfe le petit nombre ;
elle fe trouve généralement répandue dans tous les
pays méridionaux de l’Afrique & de l’Afie ; il y en
a beaucoup à Ceylan , au Mogol ,:à Bengale, à
Siam, à P é g u & dans toutes les autres parties
de l’Inde. Il y en a aufîi, ôc peut- être en plus
grand nombre, dans toutes les provinces de l’Afri-r
que méridionale, à l’exception de certains cantons
qu’ils ont abandonnés , parce que l’homme
s’en eft abfolument emparé. Il y en a peu en-deçà
du Sénégal ; mais il s’en trouve déjà beaucoup
au Sénégal même , en Guinée , au Congo, à' la
cote des Dents.,; au pays d’Acra , de''Bénin, &
dans toutes les • autres terres, du fud de l’Afrique
jufqu’à . celles qui font terminées, par le cap de
lionne-Efpérance , à l’exception de quelques provinces
trèsrpeuplées, telles que Fida, Ardra , ôcg.
On en trouve de même en Abyflinie , .en Ethiopie,
en Nigritie , fur les cotes- orientales de
l’Afrique ôc dans l’intérieur des terres.de toute
cette partie du monde. Il y en a aufîi dans les
grandes ifles de l’Inde & de l’Afrique , comme à
Madagascar , à Java, ÔC.jufquésaux Philippines'.
Ils font beaucoup moins défians , moins fauvages,
moins retirés dans les folitudes de l’Afrique qu’en
Afie. Ils font aufîi beaucoup plus grands , plus
forts dans l’Inde méridionale Ôc l’Afrique orientale
, qu’en Guinée , ôc dans toutes les autres
parties de l'Afrique., occidentale. L’Inde méridionale
ôc l’Afrique orientale font donc les contrées
dont la terre ôc le ciel conviennent le mieux à
Y éléphant ; ôc en effet, il craint l’exceflive chaleur;
il n’habite, jamais dans les fables brûlans , ôc il
ne fe trouve en grand nombre dans le pays des
Nègres que le long des rivières, ôc non dans
les terres élevées ;. au lieu qu’aux Indes , les plus
puiffans , les plus courageux de l’efpèce, ôc dont
les armes font les plus fortes ôc les plus grandes,
s’appellent éléphans de montagne , ôc habitent en
effet les hauteurs, où l’air étant plus tempéré ,
les eaux moins impures , les alimêns plus fains,
leur nature arrive à fon plein développement,
& acquiert toute fon étendue , toute fa perfection.
En général , les éléphans d’Afie l’emportent
par la taille, par la force, ôcc. fur ceux de l’Afrique
& en particulier ceux de Geylan l’emportent fur
tous les autres, non pour la grandeur , mais par
le courage ôc l’intelligence. La force de ces animaux
eft proportionnelle à leur grandeur ; les
grands éléphans des Indes portent aifément trois
ou quatre milliers ; les plus petits, c’eft-à-dire ,
ceux d’Afrique, enlèvent librement un poids de
deux cents livres avec leur trompe , ôc le placent
eux-memes fur leurs épaules ; ils: peuvent porter
plus d’un millier pefant fur leurs défenfes. 5 De temps immémorial, les Indiens lé font fervis
é. éléphans à la guerre ; chez ces nations mal disciplinées
, c’étoit la meilleure troupe de l’armée,
ôc celle quî décidoit ordinairement dù fort des
batailles ; mais maintenant que le feu eft devenu
l’element de la guerre , les éléphans , qui en
craignent,ôc.le bruit ôc la flamme, feroient plu»
embarraffans ôc plus dangereux qu’utiles dans nos
armées. Les rois des Indes font encore armer des
éléphans en guerre, mais c’eft plutôt pour la re-
pr.éfentation que pour l’effet. Ces éléphans de
guerre leur fervent néanmoins pour dompter les
éléphans fauvages ; ils en ont beaucoup d’autres
pour le fervicë, ôc pour porter les grandes cages
de treillage dans, lefquelles ils font voyager leurs
femmes : e’eft une monture très-sûre, car Y éléphant
ne bronche jamais.; mais-, elle n’eft pas douce ,
Ôt il faut; du temps : pour s’accoutumer au mouvement.
brulque.ôc au balancement continuel de fon
pas : la meilleure place eft fur le cou , les fe-
couffes y font, moins dures que fur les autres
parties ; mais dès qu’il s’agit de quelque expédition
de chafle ou de guerre, chaque éléphant eft
toujours monté dé plusieurs, hommes ; le conducteur
.le met - à. .califourchon fur le cou , les chaf-
feurs.ou:.les combattans font aflis ou debout fur
les: autres parties du. corps.-
Au Tbnquin ; . à, Siam , à Pégu , le Roi Ôc
toits les grands feigneurs ne font jamais montés
que' fur des éléphans•; les jours de fête, ils font
précédés ôc fuivis d’un nombreux cortège de ces
animaux pompeufement parés de plaques de métal
brillantes , ôc couverts des plus riches étoffes.
On environne leur ivoire d’anneaux d’or ÔC d’argent
; on leur peint les oreilles ôc les joues ; on
les couronne de guirlandes ; on leur attache des
fonnettes ; ils femblent 1e complaire à la parure,
ôc plus on leur met d’ornemens , plus ils fonfc
careffans Ôc joyeux.
Lesé/epétf/wfont, au pas ordinaire , à-peu-près
autant de chemin qu’un cheval en fait au petit
trot, ôc autant qu’un cheval au galop lorfqu’ils
courent ; ce qui, dans l’état de liberté, ne leur
arrive guère que quand ils font animés de celèrë
ou poulfés par la crainte. On mène ordinairement
au pas les éléphans domeftiques ; ils font aifément
ôc fans fatigue quinze ou vingt lieues par jour ;
ôc quand on veut les preffer, ils. peuvent en faire
trente-cinq ou quarante. On les entend marcher
de très-loin, ôc l’on peut aufîi les fuivre de très-
près à la pifte , car leurs traces ne font pas équivoques
, Ôc dans les terreins où le pied marque ,
elles ont quinze ou dix-huit pouces de diamètre,,-
Un éléphant domeftique rend peut-être à fon
maître plus de fervice que cinq ou fix chevaux *
mais il lui faut du foin, ôc une nourriture abondante
ôc choifie. On lui donne ordinairement du
riz crud ou cuit, mêlé avec de l’eau-, Ôc on.
prétend qu’il faut cent livres de riz par jour pour
qu’il s’entretienne dans fa pleine vigueur » on lut
donne aufîi de l’herbe pour le rafraîchir ; car il
eft fujet: à s’échauffer , Ôc il faut le mener à l’eau
ôc le laifler baigner deux ou trois fois par jour.