bavardage; mais quand sa femme lui déplaît, il préfère presque
toujours s’en débarrasser par la vente, et, dans ce cas, il lui
suffit de faire avec l’acheteur un contrat en due forme; la
société n’ayant rien à voir dans les transactions entre * l’offre »
et la i demande ».
A quel degré la femme était inférieure à l’homme, l’épouse
à l’époux dans l’esprit des Chinois, 1’ « ancienne et vénérable
coutume » du suicide de la veuve sur la tombe du mari le
montre avec abondance et surabondance.
Ce suicide des inconsolées, qu’elles le soient vraiment ou
qu’elles doivent seulement paraître telles, n’a pas tout à fait
disparu des moeurs. Mais il n’y a pas d’exemple que la victime
volontaire fasse choix du bûcher comme les veuves hindoues
: c’est par l’opium ou tout autre poison, par la faim, par
la noyade, surtout par la corde, que les épouses chinoises vont
rejoindre leur mari dans la mort. D’avance elles annoncent
leur résolution; et alors, de toutes parts, viennent les.parents,
les amis et les curieux pour les encourager et les applaudir;
quand même elles ne sont point soutenues par l’approbation
publique, nombre d’entre elles meurent, soit pour suivre
leur mari dans la tombe, soit pour rester dignes de lui.
Ainsi, la femme se considère comme n’ayant d’existence
que par la personne de l’époux, et si elle jouit d’une certaine
liberté, si le mari abuse rarement de ses droits de maître
absolu, elle n’en est redevable qu’à la mansuétude générale
des moeurs. C!est en l’honneur des vierges et des veuves vertueuses
que, par une sorte de galanterie nationale, on élève en
dehors des villes le plus d’arches triomphales ; en échange de
leur liberté, on leur accorde des monuments.
Pendant les deux expéditions des troupes européennes,
en 1860 et en 1900, quand les alliés pénétrèrent dans la province
de Petchili, des milliers de femmes se suicidèrent pour
ne pas tomber au pouvoir des étrangers : couchées dans le
cercueil pour y attendre la mort, elles y mouraient en effet.
En conformité avec l’infériorité reconnue de la femme,
les Chinois, en cela semblables aux Musulmans (mais moins
outrés qu’eux), ne parlent guère de leurs compagnes et n’aiment
pas qu’on les en entretienne. Dans la conversation ils la désignent
souvent par une périphrase dédaigneuse, i la pauvre
sotte du dedans », et si quelqu’un demande à quelqu’autre des
nouvelles de madame son épouse, il se sert, encore plus péri-
phrastiquement, d’une expression « tirée de longueur, » comme
par exemple : î Veuillez présenter tous mes hommages à la
salle de la Respectable Longévité ; en quel état se trouve-t-elle ? »
La salle de la Respectable Longévité, c’est-à-dire ; la personne
qui habite dans la salle de la Longévité Respectable, la dame
du logis, la mère de famille, au bout du compte, la femme;
et, pour se conformer une fois de plus au style de la politesse
chinoise, la personne des appartements d’Excellente Odeur : on
désigne ainsi le gynécée. Encore n’ose-t-on guère s’entretenir
de la sorte avec le mari, à moins d’une amitié qui excuse les
infractions à la règle; c’est aux enfants de la maison qu’on
s’adresse.
Rien donc d’étonnant si le Chinois qui vous invite ne vous
présente pas à sa femme : ce n’est même pas chez lui que vous
goûterez aux merveilles de la cuisine du « Milieu », mais n’importe
où, dans un lieu convenable, villa, pagode, restaurant,
hôtel au nom fleuri, court en chinois, non moins que long en
français : « Hôtellerie de la Commune Ascension vers les Honneurs,
de la Félicité Parfaite, des Cent mille Parfums, de la
Félicité sans Nuages, ou de la Céleste Harmonie. »
Dans la réalité des choses, les femmes chinoises sont donc
plus ou moins cloîtrées ; bien que non murées dans le gynécée,
elles ne participent guère à la vie sociale générale. On en voit
très peu dans la foule qui se presse en remous dans les rues
et les ruelles, et celles qu’on y rencontre allant à pied n’appartiennent
pas aux classes dites inférieures, sinon à celle des
prostituées ; les dames distinguées par le rang, la fortune ou
les prétentions passent en chaise à porteurs ou en charrette
à l’intérieur clos aux regards.
La compagne du Chinois, sa mère, ses filles sont si bien
exilées en théorie et en pratique de la communion avec l’homme
que, pour complaire aux idées chinoises, les missionnaires
ont séparé leurs églises et chapelles en deux par une haute
cloison longitudinale en planches : d’un côté les « Messieurs »
et de l’autre les « Dames ».
On ne peut pas ne pas admettre que cette séparation des
sexes a fait beaucoup de tort à la Chine, comme aux pays fiers
de leur Islam ; elle a contribué à la priver de poésie, d’idéal ;
elle lui refuse la » fleur de la vie » ; elle mène l’homme à l’ennui,
et l’ennui pousse l’homme aux plaisirs dégradants, par exemple
à la fumerie d’opium. Mais quoi ! chez nous la femme est partout
visible, en bien des sens honorée; et les cafés, les tabagies
ne désemplissent pas.
Une autre des infériorités imposées à la femme dans le
Grand et Pur Empire, c’est le peu de soin qu’on prend de son
instruction; il n’y a presque pas d’écoles pour elle; elle croupit
bon gré, mal gré dans une ignorance « transcendante ».