C’est bien là une théorie courtisanesque telle qu’elle convenait
à des flatteurs du Roi Soleil.
Les grands capitaux se portant principalement vers l’industrie
et le commerce, la terre de certaines provinces reste
presque en entier entre les mains de ceux qui la cultivent;
cependant il existe encore beaucoup de vastes domaines dont
le sol est exploité, soit par des fermiers, soit par des métayers,
qui partagent la moisson d’été avec le propriétaire et gardent
pour eux la moisson d’hiver; ils fournissent le bétail, les
engrais, l’outillage, tandis que le maître du sol paye l’impôt,
qui d’ailleurs est relativement très faible.
Vastes domaines, c’est beaucoup dire : il n’y a guère de
propriétés allant à 300, 400, 500 hectares; très peu même ont
plus de 100 hectares; il n’en est guère qui dépassent 80, et le
très grand nombre reste au-dessous de 30.
Dans les provinces fertiles du littoral, où le sol est le plus
divisé, une propriété de 6 hectares est considérée comme un
grand domaine, la moyenne des exploitations ne dépasse probablement
pas un hectare, et bien des familles doivent se
contenter de 5 000 mètres carrés, voire moins encore, surtout
dans le pays de Changhaï et de Hang tcheou, en des plaines
où la terre est merveilleusement féconde, il est vrai.
Le chef de famille peut vendre ou hypothéquer son bien,
mais en l’offrant d’abord aux membres de sa famille et à ses
proches dans l’ordre de leur parenté ; à sa mort ou lors d’une
donation entre vifs, il doit le diviser en parts à peu près égales
entre tous ses fils. La loi l’oblige à tenir ses cultures en bon
état d’entretien ; elle confisque la terre après trois années de
jachère, et la concède à un nouvel occupant. Même le chef de
la commune est responsable de la bonne ou mauvaise tenue
des champs : si les terres sont mal cultivées, le code pénal le
condamne à recevoir de vingt à cent coups de bambou ; négliger
de faire rendre au sol tout ce qu’il peut donner, c’est commettre
un crime contre la nation.
Le droit d’établissement sur le sol inculte appartient à
tous : il suffit que l’immigrant avise de sa venue les autorités
locales en réclamant l’exemption d’impôts, qui lui est accordée
pendant une certaine période.
En dehors de l’initiative privée, le gouvernement fonde des
colonies agricoles, militaires ou pénales, dans les régions éloignées
des grandes villes et des routes, presque toujours dans
ce qui n’est pas le « Milieu », les dix-huit provinces. Son
domaine en tant que gouvernement central, est de peu d’étendue
: en 1831 (nous ne connaissons pas d’estimation plus
récente), il ne comprenait même pas deux millions d’hectares,
ainsi répartis :
HECTARES
Terres des Huit Bannières.......................... .....................
Terres des temples, des écoles et des hospices. . . .
302 850
860 800
130 980
626 750
1921 380
Presque tout cela situé hors de la Chine proprement dite,
en Mongolie, près de la Grande Muraille, et en Mandchourie,
dans le pays d’origine de la dynastie régnante.
Les plantations qui entourent les temples; et qui en tant
d’endroits composent d’admirables pares, celles dont les
revenus servent à l’entretien des écoles, les terres données en
héritage pour les hôpitaux ou autres établissements d intérêt
public, enfin une partie des marécages, des lais de mer et de
fleuves sont administrées par la commune.
Comme dans certaines parties de la France et dans la plupart
des pays de partage égal entre les fils d’un défunt, la
propriété s’émiette de plus en plus en Chine : d’autant que
chez les Chinois tous les fils héritent, les illégitimes comme
les légitimes, la première femme légitime étant la mère légale
de toute la famille.
Et c’est pourquoi la Chine est, non pas un pays pauvre,
mais un pays de pauvres, avec peu d’hommes vraiment riches,
à une époque où l’on trouve presque ridicule un millionnaire
qui n’est pas milliardaire.