emparé dans la guerre dite du Tonkin, en 1885; la plupart de
ceux qui s’intéressent en France à la question d’Extrême-Orient
en ont regretté la rétrocession aux Chinois par le traité de
Tientsin. A tort, a-t-on répondu : « Deux vastes cimetières
creusés pendant les deux mois d’occupation ont assez fait
connaître l’insalubrité de ces îles. »
Cette prestigieuse Formose, avec ses Alpes de 4 000 mètres,
ne contribuait pas peu à la beauté de la province de Fo'kien
dont le nom, nous dit-on, signifie : « l’Heureux établissement,
l’Heureuse colonie ».
On aurait pu la traiter aussi de riche et prospère, cette
province de Fo'kien même, sans l’île admirable qui en dépendait.
En même temps on eût pu la dire très populeuse : elle
aurait possédé jusqu’à 35 millions d’habitants, ou près de
300 individus au kilomètre carré (î).
Le littoral de la province de Fo’kien, découpé en innombrables
pointes et péninsules rocheuses, bordé d’îlots et
d’écueils par myriades, est d’un aspect généralement triste,
malgré l’infinie variété de ses contours. La plupart des collines,
formées de blocs de toute grandeur, sont entièrement
privées de verdure ou n’offrent que des bouquets de pins misérables,
réduits à la dimension de simples arbrisseaux; en
quelques endroits, le rivage est sillonné de dunes blanches
au-dessus desquelles le vent fait tourbilloner des nuées de
sable.
Ses plantes appartiennent à la flore tropicale, mais elles
sont trop peu nombreuses pour donner un caractère spécial
au paysage ; seulement on aperçoit de distance en distance, au
détour des promontoires, les bouches des vallées avec leurs
villes ou leurs villages entourés de bananiers et de champs
cultivés.
La contrée ne devient belle que loin des côtes et du vent
de mer, là où des plantes spontanées verdoient autour des
temples, et sur des pentes trop abruptes pour être taillées en
terrasses et livrées à la culture. Les bords du Min, en aval de
Foutcheou, présentent une succession de paysages enchanteurs
où contrastent les deux flores, en bas celle des tropiques,
en haut celle de la zone tempérée.
L isolement relatif dans lequel ont vécu les populations
du Fo’kien a maintenu leur physionomie spéciale. A certains
égards, les gens de cette province contrastent avec tous les
autres habitants de l’Empire. Ils ont au moins cinq idiomes
distincts, assez différents du langage officiel pour que les
hommes du peuple ne sé comprennent pas facilement de « patoisants
» à i patoisants ».
Le plus caractéristique de ces patois paraît être celui
d’Amoï, et c’est aussi l’un des mieux connus, grâce aux travaux
de Medhurst, de Douglas et autres sinologues. Non seulement
ce dialecte a sur le houan hoa des mandarins l’avantage de
disposer d’un plus grand nombre de mots au moyen de la
diversité de ses intonations : 900 syllabes, 928 à Foutcheou,
contre les 420, 460 au plus de Peking; il s’est aussi, et surtout,
dégagé de la forme rudimentaire en substituant de nombreux
composés bisyllabiques aux monosyllabes de la langue littéraire
et en variant les inflexions des mots les plus usuels par
une terminaison nasale ou contractée. Les dialectes du Fo’kien
dont les frontières ne coïncident point avec les limites administratives
de la province, et qui empiètent au contraire sur
tout le nord et l’est du Kouangtoung, donnent une certaine
cohésion nationale à ceux qui le parlent; dans les autres provinces
de l’Empire, les gens du Fo’kien, qui voyagent volontiers,
n’aiment à frayer qu’avec leurs compatriotes. Ils ont porté
leurs dialectes dans toutes les colonies des Philippines, de la
Malaisie, de l’Indo-Chine et du Nouveau-Monde. Le chinois qui
se parle à Bangkok, à Lima, à Sacramento est celui d’Amoï
(province de Fo’kien) et de Swateou (province de Canton) : et
ce par la raison que jusqu’à ces dernières années l’émigration
chinoise, presque toute faite d’hommes, et non de femmes,
pour ainsi dire, partait du Fo’kien et du Kouangtoung, et de
ces deux provinces seulement, principalement du Fo’kien, avec
de très rares exceptions.
Rien d’étonnant à cette expatriation en masse : on reconnaît
dans les gens du Fo'kien un peuple non chinois au
sens péjoratif du mot, des hommes fiers, hardis, aventureux,
énergiques, tenaces, voire belliqueux, ayant « la tête près du
bonnet », bons pirates, bons marins, bons colonisateurs,
quelque chose comme des Normands du î Milieu », bien plus
entraînés, bien plus agissants, mais bien moins affables et
polis que les Chinois septentrionaux.
Dans le Fo'kien, de même que dans la province de Kouangtoung
et dans l’archipel de Tchousan, il existe encore des
populations méprisées dans lesquelles on voit les représentants
des autochtones dépossédés. Ces indigènes sont tenus à l’écart
par les maîtres du pays, et dans beaucoup de districts, à Foutcheou
notamment, ils ne peuvent posséder un champ, ni même
habiter la terre ferme : pour toute culture, ils doivent se