parée à celle de tant d’autres contrées dont le sol semble à
jamais épuisé.
Il fut un temps où la Palestine, si âpre de nos jours,
« découlait de lait et de miel ». L’Italie centrale aussi s’est
appauvrie; lors d e là fondation de Rome, les campagnes environnantes
étaient fécondes et peuplées : dix siècles après, les
collines s’étaient pelées, des flaques emplissaient les fonds, la
solitude régnait autour des murs. Et combien d’autres terres
fertiles ont été stérilisées par une culture épuisante, ne sachant
pas restituer au sol les éléments incessamment enlevés par
les récoltes!
Même aux États-Unis et au Brésil, des champs qui fournissaient
naguère d’abondantes moissons, sont maintenant
rebelles à la charrue. Et les pays les plus avancés en civilisation,
l’Angleterre, la France, l’Allemagne, ne sont-ils pas
obligés d’importer chaque année une part considérable de leur
approvisionnement, et ne faut-il pas qu’ils achètent, sous
forme de guano, phosphates, engrais chimiques et autres substances
fertilisantes, les éléments qui rendront au sol la force
productive?
A l’exception des « terres jaunes », qui n’ont aucunement
besoin d’engrais, qui ne réclament qu’une seule chose, la
pluie, les champs labourables de la Chine ne doivent le maintien
de leur fertilité depuis quatre mille années, qu’au soin
pieux avec lequel le cultivateur leur restitue, sous une autre
forme, tout ce qu’il a pris : le i circulus > incessant, célébré
par Pierre Leroux, ramène dans la terre les éléments chimiques
contenus dans les récoltes.
L « engrais humain » surtout leur est précieux, et comme
sacré. En ce qui le concerne ils n’ont, peut-on dire, aucun « respect
humain », la vue ne les en offusque pas, et qui sait? l’odeur
leur en semble peut-être agréable. Les récits des voyageurs se
plaignent unanimement de l’insupportable présence du guano
naturel.
Ainsi fait la Mission Lyonnaise; laissons-lui conter ce
qu’elle a vu ou entrevu dans son voyage : « Un détail pénible,
nous dit-elle, des auberges du Setchouen (et d ’ailleurs, ajouterons
nous), c’est la présence, contiguë à la salle d’honneur
du fond de l’auberge, où notre dignité nous oblige à nous
mettre, de certaines installations, indispensables mais sommaires,
où s’attarde encore la primitivité des Chinois. Quand
elles ne sont pas à côté de nous, elles sont disposées en dessous
de la chambre où nous couchons; et la prévoyance,
pleine de délicatesse et d’esprit pratique des architectes, est
allée jusqu’à ménager des trous dans le plancher de la salle
Quelquefois, il faut traverser notre appartement pour s’y
rendre; et dans ce cas, nous fermons impitoyablement toutes
les issues, à la véhémente et d’ailleurs légitime indignation
des quarante ou cinquante personnes de notre suite, qui sont
parfois logées dans la même auberge que nous, et dont la procession
lamentable vient se heurter à des portes closes. Ils
comprennent d’autant moins la mesure d’occlusion dont ils
sont victimes, que les Chinois professent en ces matières une
indifférence olfactive qui stupéfie le voyageur. Il faut se garer
avec soin, dans les rues étroites des villes, des seaux débordants
qui passent, balancés dextrement à chaque extrémité
d’un bambou. Tous les matins, à Tchoungking, près de deux
des portes de la ville, l’une donnant sur le Siao ho (rivière de
Paoning), l’autre sur le Yangtze, des centaines de seaux s’alignaient
en bel ordre, en étages successifs, sur la série de
marches qui montent des plages des rivières à la ville. Des
coulis modestement héroïques, déversent le contenu dans des
sortes de « jonques-citernes ». Celles-ci parcourent ensuite les
rives, et les campagnards viennent puiser à même le bateau.
L’engrais humain joue un tel rôle dans l’agriculture chinoise
que l’on voit, le long des routes qui sillonnent la grande plaine
de Tchensou, de petits édicules assez bien construits, couverts
d’un toit, aux murs blanchis à la chaux, bref, d’apparence
beaucoup plus proprette que nombre d’habitations chinoises,
et qui sont une invitation discrète au voyageur d’apporter
sa contribution aux travaux de la principale industrie nationale.
»
L’usage officiellement consacré, partout vaillamment accepté,
de l’engrais si prépondérant en Chine qu’on l’a surnommé
1’ « engrais chinois », date des vieux temps de la Chine. Il est
chaleureusement recommandé dans le livre des rites de la
dynastie des Tcheou, dans le Tcheou li, qui remonte à quelque
trente siècles, dans le passé.
* Les inspecteurs de l’agriculture, lit-on dans un passage de
ce Tcheou li, veilleront à ce qu’il n’en soit perdu ni gaspillé la
moindre molécule, car c’est la force et le salut du peuple. Ils
le feront recueillir dans des vases où il fermentera pendant six
jours, après quoi on l’emploiera en y mettant dix fois autant
d’eau. Pour le riz, on le répandra pendant la végétation, non
avant, et autant de fois qu’il le faudra, mais pas plus, car ce
n’est pas la terre qu’il faut nourrir, mais la plante; et si l’on
en met trop, il s’évapore dans l’air. Pour les terres non inondées,
on le déposera au pied des plantes pendant qu’elles pousseront,
car si l’on en mettait entre les lignes, une grande