que l’on monte de degré en degré jusqu’à l’étage supérieur,
et l’on n’aura plus sous les yeux que des gradins de verdure.
C’est afin de ne pas se priver des terrains précieux de la surface,
que le sage paysan chinois a pris le parti de se creuser
une habitation à l’intérieur ; d’ordinaire, il réside avec sa
famille au-dessous de ses propres champs : il n’a qu’à monter
quelques marches pour être en plein air.
La i terre jaune » est le sol le plus fécond
que possèdent les agriculteurs chinois ; elle est
iit même beaucoup plus fertile que les terres d’als
a luvion, puisque celles-ci finissent par s’épuiser
f é c o n d i t é et qu’il faut en renouveler la force par les
engrais, tandis que le hoang tou produit des
moissons tous les ans, et depuis des siècles, sans qu’il soit
nécessaire de recourir au fumier.
Ainsi, par exemple, les terrasses des environs de Singan
fou, dont les annales célébraient déjà la fertilité il y a quatre
mille années, ont gardé leur vigueur productive, et, pourvu
que les pluies tombent en quantité suffisante, les récoltes y
sont toujours admirables.
C’est parce que cet heureux composé renferme tous les
éléments nutritifs des plantes : grâce à sa porosité, qui laisse
descendre jusqu’à une grande profondeur l’humidité dans le
sol et lui permet de remonter par capillarité, chargée de substances
chimiques en solution, les végétaux reçoivent constamment
leur alimentation normale. La « terre jaune » sert même
d’engrais aux champs qui en sont dépourvus; on l’abat des
parois en pans épais dont les débris sont reportés sur les cultures
voisines.
Mais d’ordinaire la limite même du hoang tou est aussi
celle du territoire agricole, et, d’autre part, le cultivateur
utilise partout ce terrain, même à des altitudes relativement
considérables. Tandis que sous le doux climat de la Chine méridionale
on ne voit que rarement des campagnes labourées à
plus de 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, les champs
de céréales s’élèvent de terrasse en terrasse jusqu’à 2 000 mètres
sous le ciel inclément du haut Chañsi, et même çà et là,
en des endroits abrités, des lopins de * terre jaune » sont
cultivés en plateau, sur versant, jusqu’à 2 400 mètres.
Les Chinois ont fait preuve d’une grande habileté pour
triompher des obstacles que les parois verticales de la « terre
jaune » opposaient aux communications : pour passer d’un
bassin dans un autre, il leur faut utiliser d’étroites fissures,
tailler des tranchées profondes, déplacer même complètement
la route, quand de nouveaux ravins se sont formés. Quelques-
uns des chemins les plus fréquentés ne suivent pas les angles
brusques des crevasses et ne montent pas sur les plateaux
intermédiaires; ils sont creusés en tranchées dont la profondeur
varie de 10 à 30 mètres et même davantage ; l’ensemble
de ces déblais représente un travail gigantesque, au moins
aussi considérable que l’immense labeur occasionné par la
construction de la Grande Muraille ou le creusement de la
« rivière des Transports ».
Encaissées entre des parois verticales, au-dessus desquelles
le ciel poudreux apparaît comme une bande jaunâtre,
ces routes se prolongent sur des centaines de kilomètres
comme des fosses dans l’intérieur du sol. Larges de 2 à
3 mètres au plus, elles ne donnent passage qu’à un seul véhicule
à la fois : les voituriers qui s’y engagent poussent de
longs cris d’appel, pour avertir les voyageurs qui marchent en
sens contraire d’avoir à se garer dans les coins d’évitement.
Pendant les saisons de sécheresse, les roues des véhicules
s’enfoncent dans la poussière « comme dans l’eau » ; après les
pluies, elles s’embourbent dans la vase; le chemin n’est plus
qu’une fondrière où piétons et chevaux risquent de s’engloutir;
le sol battu des routes, ayant perdu sa porosité naturelle,
ne laisse plus pénétrer l’eau dans les profondeurs, et
pendant des mois entiers les ornières restent pleines de boue.
Malgré toutes les difficultés que présentent ces routes, il est
impossible de les éviter en s’engageant à droite ou à gauche
dans le labyrinthe des ravins.
De là l’importance stratégique des chemins dans ce pays ;
il suffit en quelques districts de garder un défilé pour rendre
les communications de versant à versant complètement impossibles
à toute force ennemie. Mais lorsque des groupes de
révoltés ou de brigands se sont établis dans un dédale de
ravins dont ils connaissent les issues, il est extrêmement difficile
de les réduire. Dans l’histoire de la Chine, un grand
nombre de faits ne peuvent s’expliquer que par la formation
particulière de la « terre jaune ».
Difficulté, souvent presque impossibilité des communications,
ce n’est pas le seul désavantage du hoang tou; il en
connaît un autre, qui est l’origine des plus grands désastres :
de fréquentes sécheresses y sévissent, causées d’abord par la
siccité des vents de l’Asie centrale, puis par la nature éminemment
poreuse du sol qui ne peut garder assez longtemps la pluie
pour s’en empreindre. Or, ici la sécheresse veut dire la famine,