Ainsi la vie urbaine se déplace : de leur forme militaire,
brutalement limitée par des remparts, les villes chinoises
passent à une forme plus libre, plus souple, plus « élastique »,
dont les contours suivent les reliefs et replis du sol et l’ondulation
des rivières.
Durant les guerres civiles et les insurrections récentes la
plupart de ces quartiers extérieurs avaient complètement disparu,
mais la population s’est portée de nouveau vers la banlieue
pour y reconstruire les demeures abattues, et déjà maint
faubourg est devenu plus important que la cité près de laquelle
il est bâti.
D’ailleurs, les maisons, simples cadres en bois léger et en
bambous, avec ornements en papier, sont faciles à réédifier.
Les constructions monumentales, comme celles des villes d’Europe,
ne se rencontrent point dans les cités chinoises : aussi
les tremblements de terre sont-ils beaucoup moins dangereux
dans le Royaume Central que dans les contrées où prévaut l’architecture
des Occidentaux; mais les incendies éclatent souvent
au milieu de toutes ces maisons en bois. C’est pour cela qu’en
été l’on ferme d’ordinaire la porte méridionale de la ville, afin
d’en « interdire l’entrée au dieu du feu » : un reste de l’antique
religion solaire, mêlé aux autres superstitions du feng choui,
fait craindre que l’incendie ne pénètre dans l’enceinte par l’ouverture
du midi.
Les maisons des riches sont en général d’une grande propreté,
et des fleurs variées transforment les appartements en
de véritables serres ; mais les villes sont pour la plupart d’une
indicible saleté et contrastent singulièrement avec les champs,
si proprement tenus, sauf les villages, empestés de fumier et
de guano humain. L’odeur qui s’échappe des rues, encombrées
et bordées de sentines, est repoussante, et les soins d’édilité
sont presque nuls : c’est au temps qu’on s’en remet pour faire
disparaître les débris que les agriculteurs ne peuvent employer
directement à la fumure de leurs terres.
Voilà pourquoi les épidémies, surtout la petite vérole, sont
relativement bien plus fréquentes et meurtrières qu’en Europe ;
pourquoi des maladies endémiques, ayant la malpropreté pour
cause principale, sévissent parmi les * enfants de Han ». La
lèpre, l’éléphantiasis, sont des fléaux qui font beaucoup de
victimes dans la région du littoral, surtout au sud de l’Empire.
Probablement les neuf dixièmes de la population chinoise
sont atteints de maladies de la peau, dont l’origine était a ttribuée
à tort, il semble, aux exhalaisons des rizières, très dangereuses
pendant la saison d’été : les femmes, obligées de piétiner
dans la vase pour arracher les mauvaises herbes, ont le
plus à souffrir de cet air empoisonné.
En compensation — et c’est une faculté précieuse — les
hygiénistes s’accordent à reconnaître chez les Chinois une singulière
force de résistance aux funestes influences du climat ;
mieux que tout autre peuple, ils savent se plier aux variations
extrêmes de la température, de l’humidité, de l’altitude; cette
immunité s’est prouvée et se prouve encore tous les jours par
les travaux de peine et de force qu’ils exécutent dans tous les
pays du monde, sous l’Équateur, le Tropique, en terre froide,
au plus dur et dangereux d’Afrique et d’Amérique.
On sait qu’un des faits remarquables de la démographie
chinoise est que, tout en se répandant de Tune à l’autre extrémité
de l’Empire et en se croisant à l’infini, les Chinois ne
s’unissent jamais entre personnes appartenant à des familles
de même appellation patronymique : ainsi la nation tout
entière se trouve partagée en 400 groupes distincts — 150 seulement
si Ton accepte un autre calcul, — qui ne peuvent s’allier
qu’indirectement, par descendance féminine.