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 faisaient  partie du monde occidental. 
 Depuis ces temps vraiment  antiques,  les nations groupées  
 sur les  deux pentes des Pamir, « Toit du  monde  », ont  dû, par  
 force,  leur climat devenu plus  sec, leur ciel plus  aride de  siècle  
 en siècle, descendre toujours  plus  avant dans les  plaines, celles-  
 ci vers  le Levant,  celles-là vers  le Couchant. 
 Alors se sont élargies, de l’une à l’autre, des unes aux autres  
 de  ces  nations,  les  zones  désertes,  les  steppes  que  traversent  
 seulement les pasteurs ; les foyers de civilisation se sont écartés ;  
 le  centre  vital  de  la  Chine  s’est  graduellement  rapproché  du  
 Pacifique,  tandis  qu’un  mouvement  analogue  s’accomplissait  
 en  sens  inverse  vers  l’occident  de  la  Babylonie,  vers  l’Asie  
 Mineure et la Grèce. 
 De  la  sorte,  très  lentement sans  doute,  l’isolement  se  fit  
 des  deux  côtés,  et,  pendant  de  longs  siècles,  les  relations de  
 commerce  se  firent  plus  rares,  il  y  eut  dès  lors  très  peu  
 d’échanges  d’idées entre  le versant  oriental et le versant méditerranéen  
 du grand  continent  d’Asie. 
 Seulement,  de  temps  à  autre,  de  lointaines  rumeurs  
 apprenaient  aux  populations des  deux  extrémités  de  l’Ancien  
 Monde  que  d’autres  nations  habitaient  par  delà les fleuves  et  
 les lacs,  les  plateaux,  les  montagnes,  les  forêts  et les déserts,  
 et  l’imagination  transformait  les hommes  de  ces  pays  si  éloignés  
 en monstres bizarres  ou terribles à affronter. 
 Et, par une conséquence naturelle,  les deux civilisations se  
 développaient des  deux côtés  du  continent,  sans  se connaître,  
 sans  avoir d’influence réciproque,  suivant des évolutions parallèles  
 et  pourtant aussi  distinctes  l’une  de  l’autre  que  si  elles  
 étaient nées  sur deux planètes  différentes. 
 Tellement  qu’il  y  eut  peut-être  une  époque  où  la  Chine  
 méridionale eut plus de rapports  avec certaines îles  éparses  de  
 la  mer  du  Sud  qu’avec  les  régions  de  l’Occident  auxquelles  
 elle  est  réunie par  une masse  continentale  :  des  traits  de  race  
 prouvent que, du côté du midi, il y eut certains mélanges entre  
 les Chinois  et les tribus, malaises ou non-malaises, qui peuplent  
 des  terres dispersées dans l’océan des  Indes. 
 Cependant  le  rempart  de  plateaux  et  de  montagnes  qui  
 entoure  le  monde  chinois  n ’est  pas  tellement  continu  qu’il  
 n’offre  de  larges  brèches ;  les unes  s’ouvrent vers  les contrées  
 du  midi,  les  autres  dans  la  direction  du  nord;  en  outre,  les  
 chaînes  de  monts  neigeux  ne  sont  point  inaccessibles. Altaï,  
 Thian  chañ,  Tsoung  ling,  Kouenlun, Nan  ling,  sont  tous  traversés  
 de  sentiers où  se hasardent les  marchands,  bravant les 
 fatigues,  les  froids  altitudinaires,  les  neiges,  les  vents  glacés  
 des cols de  difficile  ascension. 
 Les  pentes  de  ces  hauteurs  et même les  plateaux,  jusqu’à  
 3 000,  voire  4 500  mètres  d’élévation,  ont  aussi  leurs  habitants  
 et l’on peut se  rendre  de  l’un à  l’autre versant  en  retrouvant  
 partout  soit  des  hommes,  soit  des  traces  de  leur séjour  
 ou  de leur passage. Mais les  populations des montagnes  ajoutent, 
   par la barbarie  de  leurs moeurs  et leur état politique,  un  
 nouvel  obstacle  à celui  que les  aspérités  du  sol  opposent  aux  
 relations  de peuple à peuple. 
 C’est pourquoi, quand les Occidentaux n’étaient pas  encore  
 entrés  directement  en  rapport  par la navigation  avec les  riverains  
 des  mers  orientales,  pour  constituer  ainsi  de  façon  
 définitive  l’unité  de  l’Ancien  Monde,  c’est  à  de  rares époques  
 seulement,  lors  des  grands  ébranlements  de  l’humanité  asiatique  
 ou  bien  lorsque la  puissance de l’État  chinois  était dans  
 toute  sa force  d’expansion,  que  des  relations  directes  purent  
 s’établir entre  le  bassin  du Yangtze  et  celui  de  l’Amou  Daria,  
 l’antique  Oxus,  à  travers  les  populations  barbares  qui  vivent  
 sur les plateaux  intermédiaires.  C’est  ainsi que, par l’effet d’une  
 forte tension,  l’étincelle  peut s’élancer du métal  vers  le métal,  
 malgré  l’épaisse  couche  d’air  qui  l’en  sépare.  Mais  combien  
 rares  ont été jadis ces jets de lumière, qui ont révélé les peuples  
 les uns  aux autres ! 
 Ils  n’ont  eu  qu’une  bien  faible  influence  sur  la  vie  de  la  
 nation  chinoise.  Pendant des milliers  d’années,  elle  s’est  développée  
 seule, ne  puisant  que  dans  son  propre  fonds,  complètement  
 isolée  du  reste  de  l’humanité,  trop  repliée,  trop  
 i  accroupie  »  sur  elle-même  pour  ne  pas  s’ankyloser  un  peu,  
 et  ne profitant jamais  des expériences des autres  :  d’où de  singuliers  
 retards  de  civilisation,  justement  après  qu’elle  eut  
 acquis,  il y a mille  et deux mille  ans,  sur tous  les  autres peuples  
 du monde, une avance qui  aurait pu sembler définitive. 
 La première grande révolution  intérieure de  
 iv   la Chine à nous  connue qui  ait  eu  son  centre de  
 r e l a t io n s   vibration en dehors des frontières de  1’  «  Empire  
 a v e c   jaune  »  se  manifesta  lors  de  l’introduction  des  
 l 'in d e   religions hindoues. 
 Si peu commode qu’il  soit d’interpréter l’ancienne  
 doctrine  de  Lao-tze,  l’un  des  grands  philosophes  du  
 « Milieu  »,  l’on ne  peut  guère  douter  qu’elle  ne  renferme  des  
 emprunts  faits  à  l’Hindoustan. Quelques-uns de  ses  préceptes