comme le budget normal des recettes, mais en fait il est environ
quintuplé et dépasse un milliard et demi.
La première remarque suggérée par le budget de la Chine,
relativement si vertueux et modeste, c’est l’extrême modicité
de l’impôt foncier.
Qu’on juge à quel taux singulièrement bas il fixe la taxe
imposée à la propriété agricole : en réunissant l’impôt payé en
argent à l’impôt payé en grains et en paille, on obtient un total
de moins de 119 millions de francs, ou de 131 à 132 millions
d’après Brandt; or, on estime le revenu annuel de l’agriculture
chinoise à 46 milliards — ce qui ne fait d’ailleurs que 115 francs
par hectare.
En admettant donc 125 millions pour le produit annuel
de la taxe, il ressort que la terre n’est imposée qu’au 1/184
de son produit. Le gouvernement chinois augmenterait de bon
coeur ce taux fixé dans un temps très ancien; mais les paysans
chinois — tous les paysans — sont ultraconservateurs, surtout
en matière de débours, et il redoute de fomenter une révolution
si peu qu’il touche à cette taxe-là.
Le produit des douanes se distingue avantageusement de
celui de l’impôt foncier, de l’impôt du sol et autres monopoles,
en ceci que, n’étant pas perçu par des fonctionnaires chinois,
la plupart aussi malhonnêtes que malhabiles, il rapporte ce
qu’il doit rapporter au gouvernement qui a eu la sagesse,
contrainte et forcée, d’en confier la perception à une administration
purement européenne, ayant des Anglais à sa tête,
et la langue anglaise, non la langue chinoise, pour idiome
officiel.
Malheureusement, cette administration, qui dépend du
bureau des Affaires étrangères, ne contrôle que les douanes
maritimes.
Elle n’a pas à s’occuper des douanes « intérieures », portant
sur les échanges qui se font au moyen de jonques de construction
chinoise, et ne s’étend pas en dehors de la zone
ouverte au commerce général : au sortir des ports du littoral
de la mer ou de la rive du Yangtze, commencent les douanes
intérieures du lihin ou « millième », qui doublent, triplent
ou décuplent la valeur des objets suivant l’avidité des mandarins.
D’après un article du traité de Tientsin, un droit de 2 et
demi pour 100, ajouté à la taxe d’importation de 5 pour 100,
devrait exempter les marchandises de tout impôt supplémentaire
; mais les hauts mandarins, les gouverneurs de province,
qui gagnent beaucoup au likin, ont eu l’a rt de rendre cette
clause illusoire, par inertie, par ruse, par mauvais vouloir ou
autrement; et il faut, comme ci-devant, payer un droit de passage
aux portes des villes, sur les routes, sur les canaux et sur
les ponts. Le péager réclame telle taxe pour la réparation des
pagodes, telle autre pour le succès des prières faites en vue
d’obtenir la pluie ou le beau temps, telle autre encore pour le
service de la milice, pour un anniversaire ou pour le mariage
d’une 1 illustre » princesse.
Ce sont ces obstacles au trafic intérieur qui empêchent le
mouvement des échanges avec l’étranger de prendre son activité
normale. Les Chinois achètent volontiers des marchandises
étrangères, non seulement pour leur usage personnel,
mais aussi pour les fêtes publiques; ils aiment la pompe
extérieure, les drapeaux, les riches tentures, les feux d’artifice,
et dépensent largement les jours d’apparat; mais des villes du
littoral à celles de l’intérieur la valeur des objets d’importation
étrangère est parfois décuplée, et même au delà, du fait de la
difficulté des transports et de la 1 méchanceté » du likin.
Celui-ci pourrait bien mourir de ses excès et passer avant longtemps
sous une administration européenne, qui le régularisera,
le fera beaucoup moins onéreux à la nation en même temps
que beaucoup pliis profitable au gouvernement et aux provinces.
Quant à le supprimer, on ne saurait y penser de sitôt, car le
budget ne peut guère s’en priver.
Autant peut-être que le likin, le manque de monnaies commodes
est une des causes de la rareté des relations directes
entre les ports et les villes de l’intérieur. L’ancien système
monétaire, qui comprenait l’or, l’argent et le bronze, a cessé
d’exister à la suite de toutes les falsifications que l’État s’est
permises, et le gouvernement ne fabrique plus d’autre monnaie
que des tchen ou < sapèques », faites d’un alliage de cuivre et
d’étain ; monnaie dont on prétend qu’on en use depuis vingt-six
siècles avant notre ère.
On appelle sapèques des disques percés qu’on passe dans
une ficelle : un millier de ces disques, du poids d’un peu plus
de 4 kilogrammes, forme le tiao, unité monétaire sujette à un
agio constant, tiao comme sapèque n’étant que des noms sans
valeur précise, changeant de semaine en semaine, de district
en district : ainsi, dans telle ville on ne compte que 99, 98, ou
96 sapèques à la centaine; à l’est de Tientsin, un tiao ne vaut
que 333 sapèques au lieu de 1 000,
L’once d’argent, tael ou lan, dont la valeur moyenne est
d’environ 1500 sapèques, est également une monnaie fictive qui,