Dans toutes les régions alluviales de la Chine de grands
travaux ont consolidé, asséché le sol, mais nulle part on ne
voit de constructions hydrauliques comparables à celles qui
bordent la rive méridionale de la baie de Hangtcheou : c’est là
que les hommes ont construit le plus long viaduc de la Terre.
Même depuis le développement de l’industrie moderne, les
Occidentaux n’ont pas bâti une seule chaussée qui puisse se
comparer à celle que les Chinois de la province de Tchekiang
élevèrent il y a déjà plus de mille années.
Le viaduc ou « pont » de Chaohing n’a pas moins de
144 kilomètres de longueur et se compose d’environ 40 000 tra vées
rectangulaires portant un chemin d’un mètre et demi de
largeur, que défend un parapet dégradé. Entre les villes de
Ningp'o et de Yuyao, la montagne de Taying est coupée sur
une hauteur de 500 mètres par d’énormes carrières, probablement
les plus grandes de la Chine : c’est là qu’on a pris les
blocs nécessaires à la construction du viaduc. Des pierres de
ces carrières, taillées en colonnes et en statues, sont expédiées
jusque dans le royaume de Siam. A son extrémité orientale, le
pont s’enracine dans la forteresse en beau grès rouge qui
défend la ville de Tsinhaï, à l’embouchure du Yung kiang ou
rivière de Ningp’o.
Il est probable que ce viaduc date de l’époque où toute la
contrée n’était qu’un vaste marais salin. De nos jours, l’assé-
chement du territoire le rendrait inutile, mais il a été bâti avec
une telle solidité, qu’on n ’a cessé de le pratiquer comme route
et comme chemin de halage pour le canal voisin. La digue, qui
borde le littoral et qui a permis de conquérir sur le marais un
territoire des plus fertiles, est aussi une oeuvre colossale, dont
les constructeurs sont inconnus : les chroniques ne mentionnent
que les restaurateurs de cette puissante levée, qui se compose
de dalles disposées en pente douce du côté de la mer et ra tta chées
les unes aux autres par des crampons de fer et des
pierres en forme de coins. Les polders défendus par la digue
de cette autre Hollande, qui s’étend de l’estuaire de Hangtcheou
à la rivière de Ningp'o, sont découpés de 400 mètres en
400 mètres par des canaux d’eau douce qui divisent toute la
contrée en îlots d’égale grandeur, et servent à la fois à l’irrigation
et au transport des denrées.
Chaohing, le chef-lieu de cette insalubre région qu’assiègent
les flots de l’Océan, est une cité déchue : elle fut, il y a deux
mille ans, la capitale d’un État, qui comprenait tout le territoire
sud-oriental, entre Canton et Kiangsou. En dehors des
murailles, on montre un tombeau que l’on dit être celui de
l’empereur Yu. Quoique privée de son ancien commerce,
Chaohing est restée une des cités qui se distinguent par l’élégance
des moeurs : un grand nombre de mandarins en sont
originaires. La liqueur parfumée, dite « vin » de Chaohing,
quoiqu’elle soit extraite d’une variété de riz, est une boisson
exquise, que les voyageurs comparent au vin de Sauterne.
Une cité murée de la rive septentrionale de la baie du
Tchekiang porte encore le nom de Kanp'ou, mais on croit que
l’ancienne ville de ce nom, Ganfou, Gampou ou Kanp'ou, dont
parle Marco comme du port maritime de Quinsay et de toute
la contrée environnante, a été recouverte par les eaux de la
baie; en cet endroit, la mer a gagné notablement sur les
rivages, mais elle n’èst pas profonde. Dans aucune autre baie
du littoral chinois, le mascaret, Yeagre ou bore des marins
anglais, ne remonte avec plus de violence et n’a causé plus de
désastres sur les rives. De loin, il apparaît comme un câble
blanc tendu en travers de la baie; mais il se rapproche avec
une rapidité de 10 mètres par seconde ; on le voit incessamment
grandir, et le fracas des eaux entrechoquées mugit comme le
tonnerre. Deux, trois rouleaux ayant ensemble de 9 à 10 mètres
de hauteur se succèdent en une cataracte remontante de 6 à
8 kilomètres de large. Les bateaux qui n ’ont pu se mettre à
l’abri attendent le choc du mascaret, la proue en avant, et,
comme des saumons, s’élèvent par élans jusque sur le dos de
la vague de marée. Quelques instants ont suffi pour changer le
mouvement du courant et faire affluer les eaux en inondant les
plages sur une étendue considérable.
Pour résister à ces éternels coups de bélier de la vague, il
ne faut pas négliger un instant la réparation des digues. Sous
le règne de Kienloung, de 1736 à 1796, les travaux hydrauliques
de la baie de Hangtcheou coûtèrent plus de 50 millions de
francs.
C’est depuis un temps immémorial que les riverains de
l’estuaire de Hangtcheou ont inventé des * acons » ou « pousse-
pied » semblables à ceux dont on sersert en France sur les
plages molles de la baie d’Aiguillon : le pêcheur qui doit tra verser
les vasières pour aller visiter ses filets pose le genou sur
un bouchon de paille placé dans l’acon ou nimou, saisit la
barre transversale et rame dans la boue au moyen de sa jambe
libre. Pour le transport des voyageurs, on se sert d’un simple
baquet que remorquent deux nimou..
Tous les champs du littoral, comme ceux des îles, sont
protégés par des levées qui donnent aux côtes un tracé géométrique,
mais sans brusques saillies, et les eaux douces sont