chissant toujours, mais pourtant comme perdus dans la foule
immense : on les croirait noyés, mais ils surnagent.
Il n’y en a peut-être pas 100 000 dans les Philippines, leurs
métis compris, alors qu’il y a vingt ans on les évaluait à
250 000; même on prédisait unanimement que l’avenir leur y
réservait la prépondérance, à eux et à leurs métis, les San-
gleyes ou mestizos de Sangley.
Aux îles Hawaii, tombées récemment dans les mains des
Yankees, ils sont 22 000, sur 109 000 insulaires, soit un cinquième,
mais ils ont en face d’eux 24 000 Japonais et 15 000 Portugais.
On suppose qu’il y en a 25 000 dans le reste des îles du
Pacifique et de la mer des Indes.
A peine arrivent-ils à 45000 en Australie et en Nouvelle-
Zélande : ce n’est pas plus qu’il y a vingt ou vingt cinq ans : les
mesures d’écartement ont réussi.
Elles n’ont pas échoué non plus dans l’Amérique < anglo-
saxonne ». Il y a vingt années on les évaluait à 120 000; ils n’ont
guère dépassé ce nombre ; s’il y en a 150 000, « c’est tout le bout
du monde » : là-dessus 120 000 à 130 000 aux États-Unis, 20000
en Canada ; ils ne diminuent pas ou même augmentent un très
petit peu par une infiltration « irrégulière », de faux papiers,
une intercourse entre territoire Yankee et Puissance, entre
Puissance et i Amérique » : en somme l’invasion redoutée a été
arrêtée net.
Il y en a 1 000 dans le Mexique, que dans l’instant présent,
on parle de leur ouvrir à deux battants pour l’extraction de
minerais et la colonisation des haciendas ou grands domaines;
50 000 à Cuba et Puerto Rico, contre 110 000 en 1880; 10 000
dans les Petites Antilles, 25 000 au Pérou, où l’on en compta
jusqu’à 70000, au « beau temps » du guano; 15 000, 20 000 ou
25 000 au Brésil, 5 000 dans les autres contrées de l’Amérique
du Sud, 10 000 peut-être en Afrique, à Maurice, la Réunion,
Madagascar, le Natal, le Cap; quelques milliers en Europe, à
Londres, Paris et Berlin, en Russie.
En somme peu nombreux dans le monde : à peine trois
millions, métis compris, Mandchourie et Mongolie à part, et
sur ce total modeste, plus de deux millions en Indochine et
dans l’Indonésie.
Mais le réservoir des Chinois, la Chine pourrait bien quelque
jour inonder tel pays qui ne s’y attend pas, si la force des
choses ou si le simple hasard y dirigent le courant de l’expatriation
des Jaunes.
Car la force des choses est là : de grands pays à tirer de
l’inculture, de la solitude, ont besoin de piocheurs, laboureurs,
terrassiers, ouvriers, hommes de peine ; or, la Chine est la première
nation du monde pour fournir par millions et, au besoin,
par dizaines de millions, les pionniers de défrichement et les
* héros » des travaux publics, comme les épanche sur la terre
presque entière l’Italie, douze à treize fois moins peuplée que
le « Milieu ». Enfin la Chine est en réalité pauvre, non par elle-
même, mais parce que trop de familles vivent de sa richesse.
Les Chinois sont exactement ce qu’ils croient que nous
sommes : ils s’imaginent que nous n’avons pas de quoi vivre
en Europe, que la pauvreté nous « suit et nous talonne », que
pour ne pas mourir de faim, nous inventons des machines,
nous nous tournons de droite, de gauche, et que nous tomberions
d’inanition si nous ne nous emparions pas des richesses
du Grand et Pur Empire.
Sans doute, chez nous aussi la faim pousse le loup hors du
bois, mais en Chine il y a plus de loups que chez nous, et pour
moins de pitance : d’où la fatalité présente, et surtout future
de l’émigration en masse.
Des dizaines de milliers de Chinois quittent
iv chaque année la Chine et l’on admet que tantôt
l ’in f lu e n c e 65, tantôt 70, jusqu’à 75 pour 100 finissent par
e u r o p é e n n e rentrer au pays natal.
e n c h in e .■ Le séjour de tant d’ < enfants de Han » parmi
l e les étrangers et le retour de la moitié, des deux
jo u r n a l ism e tiers ou des trois quarts d’entre eux ont certainement
plus d’importance pour la rénovation de la
Chine que la présence d’une vingtaine de milliers d’Occiden-
taux dans le pays lui-même.
Observateurs patients, les Chinois gardent dans leur
mémoire tous les enseignements que leur donne la pénible
lutte de la vie et ils savent agir en conséquence, ils modifient
leurs procédés et s’approprient les arts étrangers, non avec
l’entraînement juvénile du Japonais, mais avec une résolution
et une persévérance infinies.
Orgueilleux de leur long passé de civilisation, pleinement
conscients de ce que telle ou telle de leurs industries ou de
leurs coutumes peut avoir de supérieur aux pratiques étrangères,
les Chinois ne sont nullement tentés de se jeter à l’aventure
dans l’imitation des modes anglaises; ils ne s’affublent
pas des étranges costumes d’Europe, comme les Japonais, pour
ressembler aux « Barbares à cheveux roux », mais ils voient