parmi les Chinois la vente de la drogue : 5 540 500 kilogrammes
en 1879, contre 303000 en 1792.
Au beau temps de ce commerce imposé par l’Angleterre,
le gouvernement de l’Inde y puisait sans fatigue un excellent
revenu par un procédé fort simple : avance de fonds aux fermiers
s adonnant à la culture du pavot dans le Bengale ; achat
de 1 opium à prix fixe ; vente aux enchères avec bénéfice moyen
de 2 250 francs par caisse. Aujourd’hui la formule commerciale-
fiscale est la même, avec moindre profit. L’opium « malwa »,
qui vient des plateaux de ce nom, dans les États médiatisés
de 1 Inde méridionale, est frappé, à la frontière, d’une taxe de
1 500 francs.
Ainsi l’opium qui s’exporte de l’Hindoustan en Chine est
en entier vendu au nom du gouvernement de l’Inde anglaise et
au profit de son trésor; 150 à 200 millions, suivant les années,
entrent de ce chef dans le budget indien.
Ce n est donc point sans de très bonnes raisons que l’on
accuse la nation britannique de spéculer sur les vices des
Chinois pour les avilir et les empoisonner; les patriotes du
Royaume Central ne manquent pas de montrer ceux que l’abus
de 1 opium a réduits à l’état de squelettes ou dont il a fait des
idiots, pour dire aux Anglais qui viennent se poser en civilisa-
teurs : « Gentilshommes, voilà votre oeuvre ! »
Toutefois on peut se demander s’il est sur la terre une
nation, représentée soit par des négociants isolés, soit par son
gouvernement, qui puisse se prétendre innocente d’actes de
même nature. Que ce soit par les eaux-de-vie, le tabac, le jeu
ou tel autre poison matériel ou moral, il n ’est point d’État qui
ne spécule sur les vices des nationaux ou des étrangers. Le
gouvernement de Peking lui-même retire parles droits d’entrée
s u r i opium de l’Inde et de la Perse un des revenus les plus
surs de son budget, et dans presque toutes les provinces de
les négociants et les mandarins se partagent de gros
bénéfices sur les récoltes de la graine prohibée.
Quant aux effets de l’opium sur l’économie, il n’est pas de
question plus discutée; il n’en est pas non plus que l’on ait
plus obscurcie, suivant les intérêts de la cause à défendre; c’est
toujours pro et contrâ. !
Si funeste qu’elle soit, cette drogue est loin de produire
d une manière générale les conséquences qu’on lui attribue.
La plupart des lettrés font un usage modéré de l’opium, sans
que leur intelligence en paraisse affaiblie et sans que chez eux
la vieillesse arrive avant l’âge. Sans doute les fumeurs insatiables,
qui passent toute leur journée dans le délire du rêve,
sont des hommes absolument perdus pour le travail, et finissent,
comme les alcooliques, par succomber à des attaques
convulsives et à la paralysie générale; mais ces êtres, relativement
peu nombreux, ne se rencontrent guère que chez les
désoeuvrés, rares en Chine, pas chez les paysans les ouvriers,
qui forment la véritable nation.
Les fumeurs d’opium, en grande majorité, se contentent
de quelques bouffées inoffensives dans l’intervalle de leurs
travaux : c’est précisément dans la province où l’on fume le
plus, dans le Setchouen, que la population se distingue par
son intelligence et son activité. En admettant même que la
quantité de la drogue indigène, d’ailleurs beaucoup moins
active que celle de l’Inde, égale l’opium d’importation étrangère,
la part qui reviendrait à chaque habitant, la Chine étant
cotée à 400 millions d’âmes, ne serait que d’une vingtaine de
grammes par an.
Tous les explorateurs récents de la Chine ont constaté dans
les diverses provinces une toujours croissante extension des
champs de pavots, qui n’a pas seulement pour effet de diminuer
les arrivées des caisses d’opium indien, mais aussi de pourvoir
aux malfaisantes voluptés d’un nombre croissant de fumeurs.
Malgré ce développement d’une culture insensée, le nombre
des fumeurs d’opium, pour grand qu’il soit en Chine, est fort
au-dessous de ce qu’on se figure communément.
L’un des Européens de beaucoup les plus savants en choses
chinoises, le directeur anglais des douanes de l’Empire, sir
Robert Hart, s’est livré il y a quelques années à des calculs
sur le nombre probable des fumeurs * confirmés » de la mauvaise
drogue ; il est arrivé à un chiffre surprenant de modestie,
un « demi Chinois » seulement sur cent, 5 sur 1 000, 2 millions
seulement pour toute la Fleur du Milieu ». Curzon, dans ses
Problems of the East, admet que, vu les progrès de la * culture
nationale » du pavot, l’opium arrivé de l’Inde n’est fumé que
par 2 Chinois sur t 000 : soit par 800 000 hommes, à supposer
400 millions d’habitants dans l’Empire.
Aucun de ceux qui ont parcouru la Chine attentivement ne
peut admettre un nombre aussi faible, mais aucun non plus
n ’oserait dire que le déplorable vice de l’opiophagie soit,
comme d’aucuns l’ont dit, une passion générale dans la masse
de la nation ; pas plus qu’en Europe l’alcoolisme : l’un et l’autre
sont le « privilège » de la grande minorité.
L’usage du tabac ou de la « feuille à fumée », beaucoup
plus général dans les provinces du littoral et du nord, où l’introduisirent
les Mandchoux, que dans le reste de 1 Empire aux
dix-huit provinces, ne cause peut-être pas des effets moins