Les meilleurs de nos ouvriers sont incapables de fabriquer
des bronzes niellés, des émaux et des vases de porcelaine comparables
à ceux que l’on conserve dans les musées. Pour la
teinture, obtenue principalement par des sucs végétaux, les
Chinois sont encore les maîtres des Européens et ils possèdent
diverses couleurs dont le secret n’est pas encore connu à
l’étranger.
Le triomphe à la fois industriel et artistique
de la Chine, ce fut la céramique,
jjl « Qu’on ne s’y méprenne pas, dit excelleml
'a r t ment Philippe Daryl, la céramique est le véric
h in o is table idiome artistique du génie oriental. Comme
expression de leur sentiment esthétique, les
Aryas ont adopté le marbre ou la pierre, la couleur
appliquée sur la toile ou le bois; les i Touraniens » ont
choisi l’argile cuite et le galbe mystique du vase décoré. De
toutes les poteries que le monde a connues, la plus belle est
sans contredit celle des Chinois. Après trois siècles d’efforts, le
monde occidental n ’a pas encore su l’égaler. Sèvres se targue
avec raison, comme d’un tour de force, d’avoir pu reproduire
exactemënt une soucoupe ou une tasse de la Chine. Mais les
craquelés, les verts de mer, les bleus des Fils deHan, qui les
retrouvera jamais? Leurs vieux maîtres en ont emporté le
secret. On s’en console chez nous en attribuant naïvement une
espèce de supériorité à la peinture sur toile ou à la statuaire
en marbre, et en regardant les autres manifestations de l’art
comme inférieures ou purement décoratives. C’est un préjugé
latin que rien ne justifie. Son moindre défaut est de nous
donner des monuments très périssables. Quelle durée peuvent
avoir les peintures sur toile? Cinq ou six siècles au plus.
Admettons qu’à force de soins et de restaurations on arrive à
prolonger l’existence d’un tableau à l’huile, que restera-t-il de
l’original après mille ans? A peine un souvenir et un fantôme.
Et il ne faut qu’un accident, un incendie ou un rongeur pour
détruire ce fantôme. La peinture sur porcelaine, elle, est éternelle.
Elle passera des milliers d’années en terre, ensevelie sous
les immondices et les décombres, pour reparaître plus radieuse
que jamais. Les morceaux mêmes en sont bons. 11 est tel fait
de la vie des Égyptiens ou des Étrusques que nous connaissons
seulement par un fragment de poterie grand comme la main,
tandis que leurs tableaux, ceux des Grecs, ceux des Romains,
ont été anéantis sans retour. Même les vieilles monnaies et les
médailles arrivées jusqu’à nous doivent souvent leur conservation
au pot de terre où elles étaient enfermées. L’or disparaît,
le fer tombe en poussière : la faïence résiste et survit. C’est le
grand tra it d’union que les peuples se lèguent à travers les
âges. Ce n’est pas sur le bronze ou le marbre que l’humanité
devrait inscrire ses annales, pour les perpétuer : c’est au grand
feu, sur des blocs de terre cuite, comme faisaient les historiens
de Ninive et comme font les Chinois, sous une autre forme. Car
il n’est pas un seul de leurs pots dont le dessin ou la couleur,
les ornements, la décoration générale et le détail n’aient un
sens historique ou symbolique. Peu importe la langue que
parle l’artiste et le moyen qu’il met en oeuvre pour traduire sa
pensée. Il n’y a pas dans l’a rt de prééminence pour un procédé.
Que l’idée s’exprime par l’architecture, par la statuaire, par la
magie de la couleur ou par la sonorité des rimes, l’essentiel est
qu’elle soit haute à la fois et accessible à la foule; or, la Chine
a atteint dans ses oeuvres céramiques un degré d’excellence qui
n’a jamais été égalé. »
C’est ici le moment de dire combien les Chinois sont un
peuple artiste, qui fut dans les arts comme en toute autre chose,
l’instituteur des Japonais si vantés. >
Ils ont brillé (plutôt qu’ils ne brillent, — mais tout peuple
a ses « hauts » et ses « bas »') —, ils ont brillé de tout,temps par
une exquise fantaisie. Au rebours des Européens, qui ont pour
unique souci d’imiter la nature, les artistes du « peuple de
Han » préfèrent l’inventer; ils disposent à leur gré des formes
de ce qui est, pour en faire ce qui pourrait être : à l’oiseau réel
ils opposent l’oiseau fantastique, aux lézards authentiques, les
dragons imaginaires, à la forêt des arbres, tels que la terre les
dresse aujourd’hui, la sylve qui n’a jamais ombragé de ravines.
Nous nous contentons du pittoresque, il leur faut 1 impossible,
entre rêve et cauchemar : extraordinaire antinomie, chez le
plus singulier de tous les peuples, entre le calme d’une raison
terre à terre et les orages d’une imagination qu’aucune étrangeté
n’épouvante.
Dans les peintures de leurs vases, dans leurs bronzes, dans
leurs dessins et tableaux, dans les sculptures sur bois ou sur
granit de leurs temples, palais et pagodes, dans la décoration
de leurs parcs, jardins, kiosques, de leurs portes triomphales
en hommage aux sages, aux femmes vertueuses, aux veuves
fidèles, ils ne se sont jamais astreints qu’à la « liberté » —
leurs grands et vrais artistes, s’entend. — Et Lay a pu proclamer
que : « pour la beauté des proportions architecturales,
c’est en Grèce qu’il faut aller chercher les modèles; pour la