étendards où sont écrites des prières bouddhistes en langue
du Tibet; des cordes tendues sur les cours des habitations,
sur les rues, et de colline à colline, soutiennent des étoffes,
lambeaux ou banderoles également « inscrites » de prières :
« chaque fois que le vent agite ces inscriptions on peut considérer
les prières comme dites, et l’effet bienfaisant s’en répand
sur toute la contrée ». Gracieusement située dans le val d’un
affluent du Min, elle possède la douane chino-tibétaine de cette
région du Setchouen occidental ; une garnison chinoise occupe
des casernes, et de nombreux marchands du Chansi, bouddhistes
ou mahométans, habitent le beau quartier de la ville et
y trafiquent sur la laine, la rhubarbe, le thé, principalement le
musc. Divers métaux abondent dans le pays et « il y a tant
d’or aux environs, dit Bonvalot, que la contrée de Tatsienlou
pourrait devenir une Californie ».
Le souverain nominal du pays est un roi Mantze dont le
domaine s’étend au sud jusqu’au pays des Lolo. Les femmes
chinoises ne peuvent dépasser le territoire de ce roi pour entrer
dans le Tibet oriental ; mais elles sont nombreuses à Tatsienlou,
et la population tibétaine n’est guère représentée que par des
métis, d’ailleurs plus beaux de traits, au goût des Européens,
que les « Enfants du royaume Central ». Il n’est pas de pays
dans l’Empire chinois où les femmes aient à un pareil degré
la passion des bijoux; elles se couvrent de plaques d’argent
ciselées qui s’entremêlent à leurs colliers de pierres fines et
de verroteries; le haut de la chevelure est caché par deux
grands disques d’argent, et les nattes qui s’échappent du diadème
sont soutenues par une étoffe revêtue de plaques du
même métal. Tatsienlou est le siège des missions catholiques
dites du Tibet.
La rivière de Tatou ho passe en aval de Tatsienlou dans
une gorge formidable, entre des parois abruptes hautes de
200 mètres, les montagnes encaissantes en ayant 3 000, e t avec
quelque recul i 000 ou 5 000 et au delà. Elle passe sous le
pont suspendu de Loutingtchao, soutenu par treize grosses
chaînes et si branlant que le passager ne sait comment s’assurer
sur ses jambes. Loutingtchao est la première ville du
Setchouen (en venant de l’ouest) située complètement en dehors
du pays des Tibétains et des Mantze. Puis la rivière s’unit à
d’autres cours d’eau et forme le Toung ho, principal affluent
du Min kiang et même son supérieur en masse liquide. En
toute saison, les bateaux peuvent remonter le Min jusqu’au
rapide périlleux de Kiating fou, la cité qui domine la jonction
des deux fleuves et d’un autre cours d’eau.
Kiating, à laquelle on attribue généralement 25 000 âmes,
montre la sculpture la plus gigantesque de l’univers terrestre,
un bouddha taillé dans le porphyre rouge, au bord de la rivière
encanonnée dont il a pour mission de protéger les bateaux
et les bateliers. Bien que ne se tenant pas debout, mais assis,
et les mains posées sur les genoux, le Dieu, dont le Min lave
les pieds, touche de la tête le sommet de la paroi de roche,
à 120 mètres au-dessus de la rivière; assis au bord de notre
Truyère, il toucherait presque au tablier du pont du Garabit.
Ce géant du monde oriental n’a donc pas de rival chez les fiers
Aryas, puisque le sculpteur grec n’a pu dessiner dans le mont
Athos la statue d’Alexandre. Cette statue date d’environ douze
cents ans.
Comme témoignage du doute qui plane sur la population
des villes chinoises on peut citer Kiating, puisque l’estimation
de son peuple varie du simple au sextuple : 25 000 d’après l’éva-
luateur chiche, et 150000 d’après le généreux.
C’est l’un des grands entrepôts du Setchouen en même
temps qu’un centre d’exploitation du sol et le lieu d’expédition,
pour la Chine tout entière, de cette précieuse cire blanche
ou pei la que produisent les coccus apportés des campagnes
de Ningyuen, à 300 kilomètres au sud-ouest. Entourée de fontaines
salines, elle reçoit aussi par eau les soies grèges de
Yatcheou fou, située au nord-ouest, sur la route du Tibet à
Tchingtou fou. En 1860, toutes les villes de la contrée se forti-
tifièrent pour résister aux attaques des Taïping, mais les
insurgés ne dépassèrent pas Kiating fou dont les habitants se
défendirent sans le secours des troupes chinoises.
C’est à une petite journée de marche à l’ouest que les
pèlerins bouddhistes vont faire leurs dévotions dans les temples
de la célèbre montagne d’Omi ou Omei; et ils y vont en
foules presque g innombrables », à travers des b lé s, des
pavots, des champs de canne à sucre, le long du Toung ho,
puis en remontant le « ho » qui tire son nom d’Omi, dans un
val où s’alignent les mûriers, où les bambous s’inclinent au
vent, où l’on soigne le précieux arbre à cire.
Passé le bourg d’Omi, l’on gravit le mont homonyme par
un routin de pente très dure et des dalles en escalier, à travers
un de ces merveilleux parcs naturels où les Chinois laissent à
elle-même la nature, arbres, odeurs, sources vives, torrents et
cascades, pour la joie des yeux, l’enthousiasme des sens, le
réconfort des pèlerins. Toutes les dix minutes, plus ou moins,
on passe devant un moutier, un temple élégant, varié, bizarre,
avec son « peuple de bonzes en toge couleur de cendre, le chef