répandit en vainqueur dans les « plaines de l’envahissement »,
vainqueur terrible qui consomma un million de vies au moins,
probablement beaucoup plus, jusqu’à sept millions, a-t-on prétendu.
Le gouvernement chinois admet que cette inondation a
supprimé deux millions et demi de ses sujets; trois millions
semble le nombre probable. L’aire de dommage a été évaluée à
3 107 850 hectares dans la seule province du Honan : de ces
31 078 kilomètres carrés, 19 424 ensablés et perdus momentanément
pour les paysans.
Le nouveau fleuve submergea le lit du Koulou ho, qui le
conduisit au Chao ho, puis à ce Hoaï ho qui va s’amortir dans
le Hangtzô; le Canal Impérial fut éventré, noyé, tordu, et le
torrent de dévastation se perdit dans le Yangtze kiang après
avoir brisé les digues de la rive gauche à Yangtcheou, à l’aval
de Nanking.
L’année suivante, en 1888, après comblement des brèches,
réparation tant bien que mal des levées, nouvelle fugue du
i fleuve Jaune » par la même coupure de Tchengtcheou,
dans la direction du « fleuve Bleu » : nouveaux ravages, nouvelle
hécatombe.
En 1890, résistance de la levée de Tchengtcheou, solidement
réparée, mais crevaison des digues dans le bas du Chantoung,
en juillet, plaines couvertes de 3 mètres d’eau sur un espace de
165 000 kilomètres carrés (près du tiers de la France), 800 bourgs
ravagés, des centaines de milliers d’existences détruites.
Depuis lors le « Fléau des fils de Han * n’a pas trop fait
parler de lui, mais, comme on dit populairement, il faut le
tenir à l’oeil et l’une des premières grandes entreprises de la
Chine, telle qu’elle sortira du cataclysme de 1900, sera la régularisation,
définitive, s’il se peut, de ce terrible irrégulier,
après étude complète de son bassin, de sa course, de ses
troubles et transports.
Il y a trois solutions au problème de la rectification du
Hoang ho des plaines : le diriger, comme il était avant 1887
et comme il est maintenant, vers Tsinan et le nord des monts
du Chantoung; lui ouvrir son lit de 1887-1889 vers le Canal
Impérial et le Yangtze kiang inférieur; le couper en deux dans
la région de Kaïfoung, là où il a tendance à crever ses levées
de gauche ou ses levées de droite, et l’envoyer moitié vers
Tsinan, moitié vers Yangtcheou, si l’étude de ses débits prouve
qu’il est assez puissant pour fournir à deux fleuves.
De ces trois alternatives, le gouvernement chinois préfère
la première : elle lui faciliterait la mise en bon état du Canal
Impérial, * créé par les anciennes dynasties pour amener le riz
à Peking, et cette considération prime toutes les autres chez
ce peuple qui, plus encore que l’ancien sénat romain, est
systématiquement réfractaire à tout ee qui n’est pas more
majorum ». Mais il ne suffit pas qu’il préfère : il faudra qu il
laisse exécuter les plans adoptés par les ingénieurs européens
comme les plus capables de contenir les fureurs du fleuve ou
de les apaiser en les dispersant. Puissent les ingénieurs européens
qui dirigeront le travail ne pas trop mépriser,^ dans leur
morgue occidentale, la longue expérience des riverains.
Dans le voisinage du golfe de Petchili, le fleuve erre entre
des espaces marécageux qui ne sont évidemment qu’un fond de
mer récemment émergé. La ville de Poutaï, que 1 on dit avoir
été il y a vingt et un siècles, à 500 mètres de la mer, en est à
70 kilomètres maintenant. Les terres environnantes sont.encore
saturées de sel, et par un simple lavage les habitants de Tiemen
kouan obtiennent du sel d’excellente qualité. Le dernier groupe
de cabanes s’élève sur une butte de coquillages qui fut jadis
un îlot et donne asile à des coupeurs de roseaux et aux moines
bouddhistes d’un temple moderne.
Il ne donne pas entrée aux grands navires, et même les
ionques de commerce doivent s’arrêter au large de la barre,
non qu’elle soit infranchissable, puisque, à marée basse, le
seuil est à 2 mètres de profondeur ; mais le fleuve est trop
étroit pour que les navires puissent y manoeuvrer à leur aise.
De petites barques transbordent les marchandises des jonques
de mer au port fortifié de Tiemen kouan, à 40 kilomètres en
amont de la bouche fluviale, et cette montée de bateaux est à
peu près toute la navigation qui se fait sur le Hoang ho, le
fleuve ingouvernable, terminé sur une mer jaune, devant une
plage maussade, très souvent voilée de brumes.
Peu de ponts sur ses eaux « orageuses », souvent très
larges, parfois très divisées en rivières, en coulées, mais
nombre de bacs qui, d’une rive à l’autre, emploient en maints
endroits des heures de traversée périlleuse et que l’on pousse
à la gaffe, par des fonds variables de 1 à 2 mètres; on ne
trouve de grandes profondeurs que dans les « cingles », à
la base des berges d’érosion. Dans tout le bassin du bas fleuve,
et surtout, dans le Honan, la brouette est le grand moyen de
transport, et en certaine districts d’où Ton expédie la houille
et le sel, les pousseurs de brouettes ont le monopole de la route
pendant toutle jour : c’est la nuit seulement que peuvent passer
les chars. Quand le vent est favorable, toutes ces brouettes,
voyageant de conserve, sur les routes étroites, la voile au vent,
car elles s’aident de la toile, présentent un spectacle des plus
curieux. Le haut Hoang ho, dans le Kansou, serait navigable