chant sur la dure, indifférents aux intempéries, tantôt grelottant
de froid, tantôt inondés de sueur, insoucieux de tout ce qui
n’est pas leur besogne; joyeux quand même (ou plutôt résignés,
le Chinois étant intimement rêveur et mélancolique); bien
portants ; et pas fatigués d’une continuité d’efforts qui mettrait
à bout en quinze jours le plus alerte de nos acrobates, le plus
musclé de nos hercules de foire.
C’est pourquoi tant de pays désireraient les faire travailler
à leur profit, et pourquoi tant de concurrents, anglo-saxons ou
non, les redoutent.
La faiblesse de l’initiative individuelle tel
iv est le tra it principal par lequel le Chinois
a b s e n c e semble réellement inférieur à l’Européen.
d'in it ia t iv e Poussée au degré « chinois », elle peut
e t justifier jusqu’à un certain point les paroles de
f a t a l ism e ; Herder : « L’Empire de Chine, disait-il, est une
e s p r i t momie embaumée sur laquelle on a peint des
u l tra- hiéroghyphes et que l’on a1 entourée de soie; sa
p a c if iq u e circulation est comme la vie dés animaux hibernants
pendant qu’ils dorment. »
Sans doute, en présence des difficultés et des contrariétés
de la vie, le Chinois saura s’ingénier aussi bien que le Français,
l’Allemand, l’Anglais, pour conquérir le bien-être; mais dans
sa lutte il se conformera davantage aux habitudes routinières.
C’est sur la résistance passive plus’ que sur l’audacé, qu’il
compte pour triompher de la destinée; sur elle également qu’il
s’appuie pour tenir tête à son gouvernement; ou plutôt, dans
ses relations avec l’autorité à tous les degrés, sauf au degré
« communal », il s’abstient. Marcel Monnier l’a dit excellemment
en quelques lignes, qui valent d’être reproduites :
« En dépit des innombrables rites, édits et ordonnances
qui sont censés régir les moindres manifestations de la vie
sociale, le mécanisme administratif est, en réalité, dés plus
simples, ou, pour mieux dire, la machiné existe, mais’ est rarement
mise en branle. L’autorité s’efface, n’intervient qu’à son
corps défendant. Le Chinois est le plus indépendant des
hommes; la grande majorité de la nation, ceux qui vaquent
sans tapage à leurs petites affaires, ou s’arrangent pour régler
entre eux leurs différends, évitant d’appeler à leur aide le
magistrat dont la justice est encombrante et ruineuse; ceux-là
vivent dans une insouciance absolue du gouvernement et des
lois. Ces mots mêmes n ’ont chez eux aucune signification précise.
La liberté avec tous ses excès, une souveraine indifférence,
le laisser-faire érigé en système, telles semblent être, en substance
les bases du régime, les relations de gouvernants à
gouvernés. Ainsi (pour s’en tenir à l’ordre administratif) la
rue à Peking, c’est l’image de l’anarchie triomphante. Chacun
bâtit comme il lui plaît, où il lui plaît, sans souci aucun de
l’alignement, empiète le plus qu’il peut et impunément sur la
voie publique. Les gens se mettent à l’aise, satisfont leurs
besoins les plus intimes en plein air au vu et au su de tout le
monde avec une impudeur suprême » ; et certes, les règlements
d’administration ne tolèrent aucune de ces libertés grandes.
Le Chinois est légèrement fataliste, il se sent surveillé par
les Génies de la terre, de l’air, de l’eau; il se borne à son petit
destin, « et dans la crainte de déplaire aux génies destructeurs,,
fine porte jamais secours à.qui que ce soit, ni dans quelque
circonstance que ce soit » : circonstance grave, s’entend, car
il n’en est pas ainsi dans les menus incidents de la vie courante.
A cette abstention formellement délibérée contribue sans doute
pour une part décisive la crainte que le Chinois a des procès,
qui sont longs, et Dame Justice ne badine pas, elle a des idées
très arrêtées sur la responsabilité, sur la solidarité sociale.
On nous apprend que dans un bourg où un fils avait tué son
père, le gouverneur fit abattre toutes les maisons voisines du
lieu de l’infâme forfait, « pour punir les habitants de ces
demeures de n’avoir pas influé sur le criminel par la vertu de
leur bon exemple ». Aucun Chinois ne consent donc volontiers
à se trouver comme témoin, comme aide ou autrement, dans un
accident quelconque : une fois dans les mains du juge, il pourrait
lui en coûter gros.
Un exemple extraordinaire de ce fatalisme latent, c’est la
facilité avec laquelle un lépreux, un malade, un endetté, un
misérable à charge à sa famille, se laisse enterrer vivant pour
débarrasser les siens de sa présence. Le malheureux se soumet
dès les premières remontrances, surtout si les « remontreurs »
lui ont fait la promesse d’un beau cercueil : il se couche lui-
même, sans mot dire, au fond de son sarcophage, et l’on cloue,
l’on ferme aussitôt son dernier asile. Le missionnaire Ch. Piton
cite plusieurs cas de ce courage, ou plutôt de cette inertie.
D’ordinaire les Chinois n’ont pas de hautes ambitions,
ainsi qu’en témoignent les dictons populaires et les préceptes
de la morale commune. Les aventures, les brusques alternatives
de la vie leur déplaisent. Aucun peuple n’a moins de
chants guerriers, comme sans doute aucun n’a celui-ci parmi
ses proverbes favoris : « On ne fait pas de clous avec de bon