tranquille, que le faisaient les juges d’Europe à une époque
encore récente.
La flagellation, l’arrachement des ongles, l’écrasement des
chevilles ou des doigts, la suspension par les aisselles et cent
autres supplices ingénieux sont appliqués aux victimes des
juges d’instruction pour leur faire prononcer la parole fatale
d’aveu ou de dénonciation. Les peines infligées aux condamnés
sont atroces, et les condamnations à mort, par la décapitation,
la strangulation, le garrot, l’empoisonnement, le suicide commandé,
ne suffisent pas aux juges; le code prévoit aussi le
supplice de la «: mort lente ». Jadis, le martyre, qui durait des
journées entières, commençait par l’écorchement de la peau du
front, que le bourreau rabattait sur les yeux du supplicié pour
éviter son regard ; toutefois on se borne maintenant à faire des
estafilades sur la figure et les mains du condamné avant
d ’abattre sa tête.
Il y a mieux encore, et les exemples abondent de l’inconcevable
férocité des juges et des exécuteurs. Un officier de la
marine danoise vit exécuter à Canton un délinquant politique,
et voici comment :
On enterra cet homme hostile au gouvernement de son
pays, debout, jusqu’au cou, le menton sur le sol battu, à deux
pas d’une énorme fourmilière. On lui passa entre les dents une
barre de fer pour lui tenir la bouche ouverte; après quoi, de
la fourmilière à sa bouche, on déroula sur la terre un torchon
enduit d’une liqueur sirupeuse, d’une sorte de mélasse aimée
des fourmis; sirop dont on enduisit aussi le crâne et la face
du malheureux. Avant même que le tortionnaire eût achevé,
l’armée des fourmis rouges s’avançait joyeusement le long de
la mèche grassement imbibée; quelques minutes après, le
peuple des bestioles avait conquis le crâne, les yeux, les
oreilles, le nez, la gorge du condamné, qui respirait encore
au bout de trois jours et trois nuits.
Autre procédé chinois : un poteau planté en terre; lié
debout au poteau, l’homme, la figure en pleine lumière, barbouillée
de chaux vive; puis les paupières enlevées par le bourreau,
qui laisse les yeux intacts, à rôtir au soleil jusqu’à ce
que mort advienne.
C’est le vertige de l’esprit du mal, chez un peuple pourtant
débonnaire.
Heureusement pour eux le système nerveux des Chinois
est beaucoup moins sensible que celui des Européens; les
médecins des hôpitaux de Hongkong et de Changhaï parlent
tous avec étonnement de l’impassibilité de leurs malades
durant les opérations les plus graves.
Le meurtre, le viol, l’adultère entraînent la peine de mort;
le vol aussi, pour peu qu’il porte sur une valeur d'au moins
deux cents francs, ou si c’est la troisième fois qu’on dérobe. Et
les crimes politiques également, tels qu’attentats à la sûreté
de l’Empire, lèse-majesté, rébellion, etc., avec déportation dans
une dépendance éloignée du « Milieu » pour les complices de
culpabilité moindre.
Et jamais de circonstances atténuantes : tout ou rien, c’est
une loi stricte.
Pour les simples délits, les peines les plus communes sont
le supplice du rotin et celui de la cangue, comme dans l’indo-
Chine française. L’effrayant collier de bois pèse en moyenne
plus de 30 kilogrammes, et le malheureux qui le porte doit
l’appuyer sur le sol, cherchant vainement une position qui lui
permette de trouver l’oubli dans le sommeil : exposé à toutes
les intempéries, à la pluie, à la chaleur du jour, au froid et à
la rosée de la nuit, il succombe sous le faix, implorant les
passants pour qu’ils viennent le délivrer enfin de la vie.
Les prisons ne sont que de hideux réduits où l’on entasse
les malheureux, à la merci de geôliers choisis quelquefois
parmi les criminels : ceux des prisonniers qui ne sont pas
nourris par leurs proches ou par des sociétés de bienfaisance
risquent de mourir de faim.
Par exemple, il est rare qu’on punisse les femmes avec
rigueur; ce sont leurs maris ou leurs fils qui sont considérés
comme responsables des crimes ou délits commis par elles :
on ne leur inflige point la cangue, et d’ordinaire on se borne à
les frapper sur les joues ou sur la bouche avec des lames de
cuir.
Quoique les parents et les domestiques soient encouragés
par l’opinion et même par la loi à cacher le crime ou le délit
de l’un des leurs, cependant ils en sont tenus fréquemment
pour responsables et la famille devient en entier solidaire.
Le principe de la substitution est parfaitement admis dans
la jurisprudence chinoise, non seulement quand un fils se présente
à la place de son père, mais encore lorsque un inconnu
offre de subir la peine du délinquant qui le paye; pourvu que
la dette soit acquittée, et quelle que soit la victime, la justice
est satisfaite.
Même pour les tortures, même pour la mort, on trouve
des suppléants, qui donnent leur vie en échange de quelque
bien-être dont profitera leur famille. Lors de l’invasion du
Petchili par les troupes anglo-françaises, des assassins chinois
ayant été condamnés à la peine capitale, des substituts deman