sûr les chemins malaisés du fabuliste, et aussi les chemins
fortement montants ou descendants, car, « elles s’inspirent généralement
de l’irréprochable principe géométrique : la ligne
droite est le plus court chemin d’un point à un autre; elles
vont bravement devant elles, sans dévier d’un pouce (comme
nos anciennes routes de France d’ailleurs, et comme les voies
tracées par la Rome impériale) ; elles grimpent avec des pentes
atteignant parfois 30, même 40 pour 100 et alors, ce ne sont
plus des routes, mais des escaliers; elles passent sur les
points culminants sans le moindre souci des cols qui se trouvent
parfois dans un voisinage presque immédiat. — Le régime
des pluies explique en partie ces hardiesses » (Mission Lyonnaise).
Mais au moins ce ne seraient pas les routes sablonneuses
ou bourbeuses qu’elles sont partout où manquent les dalles,
« d’ailleurs irrégulières et souvent en saillie les unes sur les
autres j . On cheminait avec effort sur cette pierraille raboteuse,
et tout à coup voici que le dallage disparaît « sans rime ni
raison, pour ne reparaître qu’à des dizaines de kilomètres plus
loin. Les caravanes, les chars à boeufs se creusent souvent
aussi, sur les hauts plateaux sans culture, des pistes à côté de
la route. »
Le rapport de la Mission Lyonnaise continue comme suit à
propos de la viabilité chinoise : « Un droit est perçu en principe
pour l’entretien des routes, et il y a dans chaque sous-
préfecture, comme à Peking, un bureau (koung pou) dans les
attributions duquel cet entretien rentre. En réalité, les autorités
s en désintéressent complètement et n’y consacrent pas
une sapèque. C’est une question qui est laissée aux soins des
particuliers, à leur dévouement. Parfois, sur la route, on rencontre
quelques individus travaillant à la réparer, là où elle
était devenue pour ainsi dire impraticable; ils sont rémunérés
de leurs peines par l’aumône de quelques sapèques que leur
font les caravanes qui passent. Plus fréquemment, les négociants
d une localité s’associent entre eux pour faire réparer
les voies de communication du voisinage, mais il faut que les
travaux de réfection soient devenus tout à fait urgents. Enfin,
mais ce cas est des plus rares,. un riche Chinois se dévoue et
prend à sa charge les frais de réparation d’une portion de
route. Cette générosité lui donne le droit de placer sur le côté
du chemin une pierre avec inscription commémorative, pour
rappeler aux passants le nom de ce bienfaiteur des voyageurs.
Les réparations ne s’effectuent, dans tous les cas d’ailleurs,
qu au dernier moment, alors que la circulation est dangereuse
ou sur le point de devenir impossible. Le caractère chinois se
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révèle ici comme dans beaucoup d’autres circonstances : le
Chinois construit, mais ne sait pas entretenir. »
C’est donc sur des routes qui sont pierres, ornières, fondrières,
avec pentes inouïes, chutes et glissades, que marchent
le piéton, le porteur, le mulet de petite, mais vaillante race,
le cheval qui a les mêmes caractéristiques que le mulet, la
charrette, la brouette, la chaise à porteurs, sorte de boîte
étroite de 60 centimètres de large sur un mètre de haut.
Si encore animaux, hommes, charretiers, porteurs, n’avaient
à se débattre que contre la terre ! Mais il y a l’eau, torrent ou
rivière, et pas toujours de pont, ni de bac : d’où la contrainte
de passer à gué, non sans grands dangers dans les saisons de
pluie ou d’orage. Et quand un pont, parfois superbe, franchit
le cours d ’eau, il arrive presque toujours que ce pont est comme
isolé dans sa majesté, sans contact immédiat avec la route, et
l’on n’y accède que par des raidillons qui sont de vraies collines.
Ponts » superbes » vient-on de dire : l’épithète n’est pas
hyperbolique. Monnier les loue avec éloquence à propos de
quatre d’entre eux admirés par lui, sur la rivière Min, en
Setchouen, entre Tchingtou et Houang longtchi. « Quatre
grands ponts vénérables (dont un grand pont couvert de sept
arches, à Tchingtou même) : leurs parements sont feutrés de
mousses, les dragons de marbre qui, depuis un millier d’années,
grimacent autour des piles, sont mutilés par le frottement des
câbles de halage, par le heurt des longs bambous à pointe de
fer dont s’aident les mariniers. Mais les fondations sont toujours
solides, les voûtes n’ont pas fléchi sous le poids des
générations et des siècles : jamais réparées, fouillées dans leurs
moindres joints par les pariétaires et les ronces, elles tiendront
encore pendant des âges. De nouveaux empires surgiront et
retourneront au chaos, la Chine elle-même sera dépecée avant
que les assauts des éléments et des hommes aient désagrégé
ces vieilles pierres. Même dans leur état actuel, ces monuments
du passé, si nombreux dans tout l’Empire, en particulier dans
cette province de Setchouen, affirment avec une puissance
d’évocation autrement persuasive que les procès-verbaux du
chroniqueur et les amplifications des poètes, ce dont fut capable
cette civilisation agonisante, au temps lointain de sa splendeur. »
Celles des 21 routes impériales qui sont encore en bon état
témoignent du haut degré de civilisation qu’avaient atteint les
Chinois pendant le moyen âge et font comprendre l’admiration
de Marco Polo et des autres voyageurs de cette époque. Elles
coupent les promontoires de montagnes par des tranchées,
même par des galeries souterraines, et s’élèvent en remblais
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