
 
		pour,  dans  la  presqu’île  de  Malacca,  à  Poulo-Pinang;  mais  
 on  n’oserait plus écrire, comme  il y a vingt ou  trente ans, qu’un  
 torrent  toujours  grossissant  de  travailleurs  chinois  t  se jette  
 sur  les  îles  de l’Indonésie », que  les  «  fils  de  Han  »  y seront  
 bientôt  tout,  et  les  indigènes  rien,  que  l’archipel  de  la  Sonde  
 ne tardera guère à acquérir une importance plus grande encore  
 pour  le  prolétariat  *  chinois  que  l’Amérique  pour  le  prolétariat  
 européen  ». 
 Que sont,  sérieusement, les 600 000 «  Jaunes  » au milieu des  
 dizaines de millions de  l’archipel néerlandais où  la  seule  Java  
 n’a pas moins de 27 millions de Javanais,  plus  de 200  au  kilomètre  
 carré : surtout  si l’on considère que les émigrants chinois  
 partent  généralement  sans  femmes,  et  qu’ils  s’allient  aux  
 familles  des pays où ils vont  se perdre? 
 Si  l’on  compare,  autant  que  faire  se peut,  le nombre  des  
 Chinois à  l’étranger,  il y  a vingt-cinq  ans  et  aujourd’hui,  l’on  
 reconnaît  que  John  Chinaman  n’augmente  indiscutablement  
 ses  colonies que  dans  le  lieu  le  plus  naturel  de  son  émigration, 
  au plus  près du pays natal,  en  Indo-Chine et dans les  îles  
 de la  Sonde. 
 Ailleurs  on  lui  préfère  les  coulis  de  l’Inde,  comme  plus  
 maniables, moins  groupés  en sociétés  secrètes, moins  enclins  
 à  instituer  sournoisement un  État  dans l’État.  Autre  part,  en  
 Australie, dans  l’Amérique  septentrionale,  on le proscrit parce  
 qu’on  redoute  sa  concurrence,  toujours  victorieuse  dans  les  
 petits  métiers,  à  cause  de  la  sobriété  qui  lui  permet de  travailler  
 à  un prix dont  les  Européens  ne peuvent se  contenter;  
 en  ces contrées-là l’on fait payer aux Chinois  de terribles droits  
 d’aubaine.  Ailleurs  encore  on  a  pris  le  parti  de  s’adresser  
 plutôt  à  la  main-d’oeuvre  italienne,  qu’on  peut  comparer  à  la  
 chinoise en ce  que  l’Italien, très sobre  lui aussi,  n’est pas  exigeant  
 en fait de  salaires.  Les  «  fils de la  Louve  »,  sur  lesquels  
 nul  ne  comptait  il  y  a  un  quart  de  siècle  pour  une  foule  de  
 besognes humbles  et  dures,  semblent  à  cette heure destinés à  
 prendre  la  place  des  Chinois  en  maintes  régions,  là  où  l’on  
 n’espérait guère que dans  les  t  fils  de  Han  »  et où l’on parlait,  
 u rbi  et orbi,  du  travail  jaune,  et  non  pas  du  «  péril  jaune  »  :  
 ainsi,  par exemple, au Brésil. 
 Ce n’est donc pas maintenant que la  race  chinoise  déborde  
 réellement sur le  monde,  et  c’était  à  to rt  qu’on  voyait  l’Amérique  
 du  Sud,  l’Afrique,  les  îles, on peut  presque  dire,  la terre  
 entière,  envahie par  elle. 
 Il faut convenir que jusqu’à ces derniers temps l’expatriation  
 chinoise n’avait rien de  spontané ; il y avait lieu de la comparer 
 à une  traite des Jaunes, plus ou moins déguisée, beaucoup plus  
 qu’à  une  émigration  vraie.  Des  centaines  de  malheureux,  
 racolés  sous divers  prétextes dans les  rues des villes commerciales, 
  ou tout simplement volés sur la  côte, étaient  embarqués  
 nuitamment,  puis  enfermés dans l’entre-pont d’un navire, pour  
 être ensuite  livrés comme  «  engagés  volontaires  »  à  des  planteurs  
 des  Antilles, des  Guyanes ou  du  Pérou!  Les  gros  bénéfices  
 réalisés  sur  ces  cargaisons  de  chair  humaine  excitaient  
 jusqu’à  la folie  l’avidité des  traitants,  ils entassaient  les coulis  
 en  des  cales  étroites,  sans  air,  sans  lumière,  et  ne  leur  donnaient  
 à dévorer que d’innomables  débris. 
 Mais  aussi  que de révoltes  chez  ces  désespérés, mourants  
 de faim,  proie désignée pour  le  typhus  et  toutes  les maladies  
 qui naissent de  la  saleté,  de  la  promiscuité, de l’entassement,  
 de la misère,  de la faim ! Que de drames affreux  sur  ces navires  
 d’émigrants !  Que  de  fois  la  chiourme  ne  fut-elle  pas détruite,  
 tout  au  moins  décimée  à  coups  de  hache;  on  l’étouffa même  
 tout  entière  dans  la  cale.  Et  parfois  aussi  l’équipage,  fuyant  
 sur  des  chaloupes,  à  force  de  rames,  laissa  derrière  lui  le  
 navire coulant  à pic avec  ses  prisonniers!  Il  se peut que maintenant  
 encore les grands  navires  soient  aménagés  de  manière  
 à  tenir  toute  la  cargaison de  coulis  sous la menace des jets de  
 vapeur  et d’eau bouillante! 
 On  n’entend  plus  maintenant  parler  de  tragédies  telles  
 que  celle  du  Dolores-Ugarte,  où  l’incendie,  volontairement  
 allumé,  dévora  le  bâtiment  et  où  tous  ensemble,  capitaine,  
 matelots,  captifs furent  calcinés  dans  le  même  embrasement  :  
 parce que  ces  abominables  aventures,  glaçant  de  terreur  et  
 d’horreur  les  Chinois,  ont  rendu  de plus  en  plus  difficile,  et  
 finalement  impossible,  la  traite  des  coulis,  en  même  temps  
 qu’elles  retardaient pour  longtemps  l’émigration des sinha/i ou  
 « voyageurs  libres ». 
 Fini  le  temps  où  la  mortalité  moyenne par navire d’émigrants  
 dépassait  toujours  le  dixième  de  la  population transportée  
 et  où  maint  navire  débarqua  seulement  le  tiers  de  la  
 cargaison vivante prise  au  départ.  En  18S7,  les  63 navires  de  
 coulis qui  prirent des  émigrants  «  volontaires  »  à  destination  
 de la Havane,  emportèrent  23 928  individus,  sur lesquels 3 342,  
 environ  le septième, moururent  en route. 
 Ce qui distingue surtout l’émigration  chinoise de  celle des  
 colons européens,  c’est qu’elle  est presque exclusivement composée  
 d’hommes.  Lors  du peuplement  des placers  californiens  
 et des  «  champs d’or  »  de  l’Australie,  les  foules  d’Européens  
 et d’Américains  qui  se  précipitaient  à  la  recherche  du  métal