accaparants il n’y a pas de terrains perdus dans les régions non
montagneuses, pas de prairies d’agrément, de vastes cours, de
parcs et de garennes pour écorner la rizière ou le champ de
céréales; que dans le quart, sinon le tiers du pays, on fait
deux récoltes de riz par an, notamment dans le Fo’kien et les
deux Kouang; que dans les contrées du loess, le paysan peut
moissonner trois fois les grains dans le cours des douze mois
(à supposer qu’il tombe assez de pluie), on est tenté de
regarder le grand empire des Jaunes comme un peu désert,
malgré ses 400 millions de Chinois, en comparaison des
hommes qu’il pourrait aisément entretenir.
La cause de cette indigence de population — indigence
très relative, s’entend — réside évidemment dans cette malheureuse
désylvestration qui a frappé de stérilité absolue, on
peut dire de mort, la majeure partie de la Chine, et dans cette
singulière absence de gazon qui prive le Chinois de bétail, de
lait, de beurre, de fromage.
Si les monts avaient conservé leurs arbres, de leur cime à
la moitié ou aux deux tiers de leur descente, et que de là jusqu’à
la plaine ou la vallée se fût déroulé le vert tapis des herbes
pâturées, le Chinois n’eût pas été seulement un peuple de ja rdiniers,
il eût été aussi peuple de pasteurs et peuple de bûcherons;
il eût eu trois cordes à son arc, au lieu d’une seule,
tendue à se rompre : le riz est devenu tellement prépondérant
en Chine que chih fan, manger du riz, veut dire : déjeuner,
dîner, et que chih kouo fan? avez-vous mangé votre riz? équivaut
à notre : comment vous portez-vous?
Comme tant d’autres régions, la Chine souffre de la monoculture,
et, moins que tout autre pays, elle devrait en souffrir,
étant données les heureuses conditions de son sol et de son
climat, et toute routine à part, l’extrême diligence et l’extrême
ingéniosité de ses rustiques.
Elle a les bénéfices de la culture intensive sur 50 millions
d’hectares de terres cultivées à l’extrême, mais elle a mis à
1 abandon les 3 500 000 autres kilomètres carrés.
Dans l’ensemble de là production nationale, l’arbuste à thé,
le mûrier, le pavot sont les plantes « éminentes » entre
toutes.
La feuille précieuse du thé ne se récolte pas dans toute la
Chine; l’arbuste ne croît ni dans le Petchili, ni dans le Chaft-
toung, ni dans le nord du Chafisi, du Chensi, du Kansou. La
limite septentrionale est à peu près marquée par le 35e degré
de latitude nord, le cours moyen du Hoang ho et la chaîne des
Tsingling. Nommé te à Amoï, ta à Foutcheou, dzo à Ghanghaï,
tcha à Peking (cette dernière variante est celle qu’ont retenue
les Russes), l’arbuste donne de bonnes feuilles à partir de sa
troisième année, et d’habitude il est vieux à huit ans, âge où
on le condamne à mort. Il vient au mieux sur les pentes basses
des collines, sous le climat mouillé; l’eau lui est indispensable.
La quantité de thé consommée par les Chinois doit dépasser
de beaucoup celle dont on use dans le reste du monde, encore
qu’à l’exemple des Anglais et des Russes, on en boive partout
de plus en plus ; mais on ne peut l’évaluer, même approximativement.
D’ailleurs, l’usage du thé véritable, quoique pratiqué depuis
une quinzaine de siècles ou un peu plus, à partir de l’an 350
environ, l’usage du thé pur n’est pas universel en Chine. Dans
les provinces du nord, les riches seuls se donnent la jouissance
de boire le thé de la région du Yangtze; les pauvres et les
gens de médiocre fortune se contentent de préparations diverses
où le thé n’entre que pour une faible part; ils boivent aussi
d’autres décoctions ou infusions, ou même simplement de l’eau
chaude.
Dans les provinces qui produisent la feuille aromatique,
les habitants peu aisés des plaines remplacent également le
thé par des feuilles qu’ils recueillent dans les bosquets, notamment
par celles du saule. Ramassées au printemps, ces feuilles
sont étendues au soleil sur des aires, où elles subissent une
légère fermentation, puis elles sont traitées de la même manière
que celles du thé, et en prennent le goût : les connaisseurs
peuvent seuls apprécier la différence. En certains districts,
cette industrie est d’une certaine importance commerciale, par
suite des mélanges frauduleux que se permettent les négociants
de Hankoou, de Changhaï et d’Amoï pour les thés destinés à
la consommation européenne.
La Chine perd de plus en plus son ancien monopole du thé ;
à l’exception de la Russie, l’Europe lui demande de moins en
moins la feuille odorante. L’arbuste introduit, cultivé soigneusement
et scientifiquement à Ceylan, en Assam, en Annam,
ailleurs encore, pourvoit à l’exportation dans les divers pays
européens, au détriment du « Milieu >. Cependant l’Empire
en a exporté 92 millions de kilogrammes en 1898, contre les
28 millions partis du Japon, les 69 millions partis des Indes
anglaises et les 55 millions sortis de Ceylan. L’exportation a
été de 98 millions en 1899.
Par un mouvement contraire, le t Milieu » importe de moins
en moins l’opium de l’Inde : quoique officiellement interdit, le
pavot est maintenant cultivé dans presque toutes les provinces
de Chine, surtout dans le Houpé, le Setchouen et le Yunnan,