CHA P IT R E DIX IÈME
MOEUR S DE S CHINOI S
i MEILLEURS q u e NOUS OU PIRES? I! II. CONTRARIÉTÉ DE NOS
USAGES ET DES LEURS. Il III. BONNE TENUE, POLITESSE, BIENVEILLANCE 1
IV. ABSENCE D’INITIATIVE ET FATALISME; ESPRIT ULTRA-PACIFIQUE.
IL est bien difficile de porter un jugement équitable
sur les moeurs des Chinois et d’assigner
MEILLEURS
que n o u s nations civilisées.
OU PIRES?
aux « enfants de Han » leur vraie place parmi les
Chez nous, beaucoup d’observateurs impar-
tiaux ou s estimant tels, préfèrent leur civilisation
a la nôtre; beaucoup aussi, voire le plus grand nombre,
la nôtre à la leur. ’
' vlltë,®ux’. c'est autre chose, et l’on ne trouverait peut-être
pas un Chinois capable d’estimer l’Occident plus que la Chine
et de préférer les idées, la « morale » des Occidentaux à celle
des Chinois.
On conte qu’un ambassadeur chinois, rencontrant en
Angleterre le missionnaire Legge, revenu récemment de Chine,
lui dit a brule-pourpoint : * Vous qui connaissez ma Chine aussi
vous’/ ^ 6 VOtre AnSleterre> lequel de ces deux pays préférez-
— L'Angleterre, bien sûr, répondit en bon Anglais, l’An-
glais Legge.
Bien! reprit l’ambassadeur, visiblement surpris, quoioue
toujours poli. Votre patrie vous plaît mieux, et c’est bien
naturel. Mais je vous parle au point de vue moral : des Anglais
ou des Chinois, lequel des deux peuples est le meilleur de
coeur, le plus droit, lequel sent le mieux et observe le mieux
les convenances? »
Et l’Anglais répondit encore, toujours en parfait Anglais :
< L’Angleterre! » sur quoi, « l’ambassadeur devint blême
d’étonnement et se leva pour reprendre haleine. C’est qu’en
effet cette question peut laisser un chacun perplexe, et que de
fois une foule chinoise donne le bon exemple aux multitudes
européennes! »
Pourtant la plupart des voyageurs ont pris l’habitude de
tourner les Chinois en dérision. Il est presque convenu qu’on
ne saurait parler des « Célestes » — ainsi qu’on les nomme
par ignorance — sans les présenter sous leurs côtés ridicules,
ou même sans exagérer leurs travers.
Telle est même la force de ce préjugé, que la plupart des
Occidentaux ne peuvent se représenter l’habitant des bords
du fleuve Bleu que sous la forme du « Chinois de paravent »,
aux mouvements compassés, à l’éternel sourire, à la tête rasée,
à la longue natte de cheveux qui pend dans le dos, natte que
les Mandchoux imposèrent à la t race aux cheveux noirs » et
qui, par une dérision du sort, est devenue pour nous la meilleure
caractéristique du grand peuple pour lequel elle fut
d’abord la marque de la servitude. Néanmoins les peuplades
du Sud, Lolo, Miaotze, Mantze, conservent encore tous leurs
cheveux (Pouvourville).
Quatre cents millions de Chinois, cela fait bien des centaines
de milliers de tondeurs, et les barbiers sont innombrables
qui, i dès le matin, courent les rues à toutes jambes, portant
sur les épaules tout l’attirail de leur métier aux deux
extrémités d’un long bambou, terminé par la figure d’un
animal chimérique ».
La natte tombant en arrière d’un crâne artificiellement nu
a fait le plus grand tort aux gens du Grand et Pur Empire,
dans l’esprit badaud des Européens, pourtant aussi soumis
que n’importe quelle espèce d’hommes aux stupidités de la
mode. Il nous est devenu difficile d’isoler le Chinois de sa
mèche occipitale. * Elle rend à John Chinaman, disait un humoriste,
les services les plus imprévus : le domestique en use
pour essuyer les meubles, le maître d’école pour donner la
férule à ses « cancres », l’ânier pour émoustiller son âne,
l’homme las du monde pour s’étrangler, le barbier pour maintenir
le barbifié dans l’axe imposé par le rasoir, le bourreau
pour incliner au mieux le cou du condamné; elle ne gêne que
le paysan ou l’ouvrier, qui s’en débarrasse momentanément en
l’enroulant autour de la tête, comme le turban de l’Arabe ou
de l’Osmanli. »