fouets; lorsque des charretiers chinois se gênent au passage,
dans l’étroite piste, dallée ou non, ils se saluent et s’entr’aident.
Cette politesse passe même les bornes raisonnables; elle
s’est empêtrée de tant de superfluités, d’un tel cérémonial
qu’elle en est devenue encombrante au possible et souverainement
ridicule. C’est une étiquette pénible et puérile comme
celle des cours ; étiquette presque innée, à force d ’atavisme, et
qu’en tout cas on apprend à fond dans les écoles, même les
plus enfantines, au plus « provincial » de la province.
c Les formules de la conversation sont les plus amusantes
du monde, dit E. Bard, dans les Chinois chez eux. Il est de règle
absolue que l’on doit parler de soi et de tout ce qu’on possède
dans les termes les plus humbles, tandis que tout ce qui touche
l’interlocuteur n’est mentionné qu’avec les épithètes les plus
pompeuses. Que deux mandarins ou deux mendiants se rencontrent
:
« Quel est votre honorable titie?
lî Le nom insignifiant de votre petit frère est Ouang.
— Quel cours a suivi votre illustre carrière?
— Très bref : seulement une misérable durée de soixante-
dix ans.
p l S Où est votre noble demeure?
— La tanière où je me cache est à tel ou tel endroit.
— Combien de précieux fils avez-vous?
■5)14 Seulement cinq stupides petits porcs. »
Et ainsi de suite.
De même, quand un père a reçu la demande en mariage
d’une de ses filles, il répond, et ne pourrait guère répondre
autrement :
i Le choix que vous avez bien voulu faire de ma fille
comme femme de votre fils m’apprend que vous honorez ma
pauvre et froide famille bien plus qu’elle ne le mérite. Ma fille
est grossière et n’a pas le moindre esprit; je n’ai pas eu le
talent de l’élever comme il faut. Mais je me fais gloire de vous
obéir en cette occasion », etc.
Où l’on voit cette politesse outrée au comble du risible,
c’est dans l’histoire du rat qui a fait tomber une lampe d’huile
sur le somptueux vêtement d’un mandarin : « Comme j ’entrais
dans votre honorable appartement, dit l’infortunée victime du
ra t au maître de maison auquel appartient ce ra t malencontreux,
j ’ai, par inadvertance, effrayé votre honorable rat, qui,
dans sa fuite, a renversé votre honorable huile sur mon piètre
et misérable vêtement : c’est ce qui vous explique le méprisable
aspect dans lequel je me trouve en votre honorable présence. »
Les « tietse », ou cartes de visite officielles, finissent par la
formule : « Votre imbécile de frère cadet courbe la tète et vous
salue! »
« Et, lit-on dans le Rapport de la Mission Lyonnaise, pour
mieux indiquer la déférence, d’ailleurs toute conventionnelle,
dont est pénétré le titulaire de la carte de visite, le caractère
qui signifie tète est inscrit sur le papier vermillon en traits
beaucoup plus petits que les autres. Puis, quand la carte
de visite ayant eu son effet, on est introduit dans l’appartement;
après une foule de t je vous invite, je vous invite »
adressés par le maître de maison, et autant de « j ’en suis
indigne, j ’en suis indigne » renvoyés en réponse, c’est la
kyrielle des phrases cérémonieuses entremêlées de 'courbettes,
et avant tout ;
i Ko hia hao (la personne qui se trouve) sous le pavillon
(se porte-t-elle) bien? »
C’est un peu indirect comme style, mais l’étiquette l’exige;
et c’est d’une belle concision; on finit par s’y habituer. On
répond ; Hao, bien, très bien! Et pour ne pas être en reste de
politesse, ni de beau langage, ni d’ « indirection », on demande :
« Vos dents vénérables sont-elles en bon état? »
De nature, les Chinois sont des hommes réservés, attentifs,
bienveillants; ils se sentent solidaires les uns des autres.
« Les hommes des quatre Mers sont tous frères », disent-ils, et
ceux qui sont du même âge aiment à se donner ce nom t fraternel
».
Des voyageurs'européens ont pu traverser d’une extrémité
à l’autre les provinces les plus populeuses de l’empire, le
Houpé, le Setchouen, sans avoir jamais eu à se plaindre
d’un acte de grossièreté ou seulement d’un geste malséant.
Il est vrai qu’en d’autres provinces, comme le Yunnan,
le Hounan, le Kiangsi, la curiosité de la foule est trop souvent
indiscrète; mais pour se faire respecter il suffit de se
mettre sous la protection d’un vieillard. Presque toujours
d’ailleurs, ou du moins très souvent, ce sont les polissonneries
des enfants qui amènent les bagarres et parfois, d’excitation
en excitation, d’attaque à défense, du tic au tac, les échauf-
fourées et les massacres. Les enfants, considérés en Chine
comme irresponsables, ce qui exprime à peu près la vérité,
donc comme intangibles, ne doivent pas être frappés. L Européen,
le blanc, le « barbare aux cheveux roux » est insulté,
blessé d’un coup de caillou par un gamin de la i race aux
cheveux noirs », qu’il se laisse aller à une correction, même
légère, la chose peut tourner au pire; on lit dans la Mission
Lyonnaise, qu’une taloche bien méritée peut devenir l’occasion