Dans la riche contrée du Kiangsou méridional, le premier
rang pour la population et l’industrie appartient toujours à la
fameuse cité de Soutcheou, la * grande et noble » Suju, que
Marco Polo décrit avec admiration. Sans doute la ville n’a
plus « soixante milles de circuit » ; « six mille ponts de pierre,
assez hauts pour laisser passer les galères », ne traversent plus
ses canaux, et les habitants qui se pressent dans les rues et
dans les barques de Soutcheou ne seraient plus assez nombreux
pour i conquérir le monde » ; mais la Venise chinoise,
reconstruite après le passage des Taïping, a repris un certain
commerce, et sa population se distingue par l’intelligence et
la sûreté du goût.
Suivant le dicton, « tout ce qui est beau vient de Soutcheou
: tableaux, sculptures, tamtams, soieries et femmes ».
Et : « pour être heureux, dit un proverbe, il faut naître à
Soutcheou, vivre à Canton, mourir à Hangtcheou », car les
plus beaux hommes sont ceux de Soutcheou, la vie la plus
riche et la plus aisée est celle de Canton, et les meilleurs
cercueils sont ceux de Hangtcheou.
Mais il s’en faut encore de beaucoup que les pertes causées
par la guerre civile aient été réparées : Soutcheou, dit-on,
ne rivalise plus avec Peking pour la beauté de ses livres, et la
supériorité pour les soieries lui a définitivement échappé.
Que reste-t-il ici du million d’hommes d’avant les Taïping,
certains disaient même deux millions, vus sans doute à travers
la lentille grossissante? 500 000, croit-on, sur un réseau de
canaux, dont le Canal Impérial lui-même.
Ces canaux unissent cette autre Amsterdam au Yangtze au
nord, à la mer à Test, au Tahou ou « Grand Lac » à l’ouest.
Le Tahou, que traversait jadis un bras du grand fleuve, est
une véritable mer intérieure sur laquelle vivent des populations
de pêcheurs voguant au large des côtes ; un million de
Chinois se presseraient sur ses rives ombragées de mûriers,
plantées de ramies, et dans ses 70 îles, dont une peuplée de
200 000 habitants.
Le Tchekiang, l’une des six provinces litto-
xn raies du Grand et Pur Empire, donne à l’est sur
d a n s la mer de Chine, dite ici, en chinois, Toung haï
l e tc h e k ia n g : ou « mer Orientale » ; au nord il a le Kiangsou,
h a ng tch eo u à l’ouest le Nganhoeï et le Kiangsi, au sud le
Fo’kien.
C’est la moindre des dix-huit provinces, avec 95 000 kilomètres
carrés seulement, plus du sixième, moins du cinquième
de la France, environ quinze de nos départements ; mais le
territoire y est si beau, si bon, si riche, qu’on évalue son
nombre d’habitants à douze millions, ou 126 personnes au
kilomètre carré.
Même, si Ton pouvait accorder quelque créance aux recensements
antérieurs, le Tchekiang aurait entretenu plus de
vingt-six millions d’hommes en 1812, plus de trente en 1842 :
dans le premier cas, près de 275 individus, au kilomètre carré,
dans le second, près de 320. Exagérations sans doute, mais il
est de toute évidence que la population y a fortement diminué
dans la seconde moitié du xix0 siècle : les Taïping ont passé
par là.
Ils ont été plus ravageurs que le mascaret, la barre de
la baie dont la province aurait pris son nom : la baie de Tchekiang
ou du t Fleuve destructeur », ou encore du « Fleuve roulant
», du i Fleuve tortueux » : d'après certains, ce fleuve tortueux
serait une rivière du sud du territoire. Faut-il pourtant
admettre avec Richthofen que cette plus atroce des guerres
civiles de Chine et d’ailleurs n’a laissé debout que le trentième
de Tchekiangais?
Le Tchekiang offre un heureux assemblage de gracieuses
vallées, de coteaux modérés, de petits monts qui sont le terme
oriental des Nan chan ou monts du Sud; aucun grand fleuve ne
peut se développer en un aussi petit pays, mais le val de la
rivière de Hangtcheou, le Tsientang, est peut-être « le plus
beau de la Chine par la grâce des paysages, l’éclat de la verdure
et des fleurs » ; plus au sud le fleuve de Ouentchen arrose
de charmantes campagnes.
Comme climat, comme plantes, c’est ici la transition
entre la Chine du nord et la Chine du sud ; mais il reste sous-
entendu que, malgré la situation de la province sous les latitudes
de la basse Egypte, on n’y souffre point de torridités africaines.
Comme population, le Tchekiang, recolonisé par des immigrants
de diverses provinces, n’est plus en possession d’un
type individuel bien caractérisé. Comme idiome, la plupart
des habitants comprennent la langue officielle, le dialecte mandarin,
mais l’idiome populaire se rapproche du parler du
Fo’kien et de la langue du sud. ■
Pour résumer, agréable et belle contrée peu minière, très
agricole, suffisamment industrielle et fort commerçante.
La capitale du Tchekiang, Hangtcheou, située près de
l’extrémité orientale de la grande baie de Tchekiang ou de Hang