« Milieu », malheureusement pour lui, s’est hâté avec une si
« sage lenteur » qu’il n’a pu tenir devant les Japonais, et qu’il
vient encore de se trouver au dépourvu en face de la formidable
coalition de 1900.
Forcé par l’évidence même à reconstituer ses forces militaires
sur le modèle européen, il pensait ne le faire que très
graduellement, à la longue, pour ne pas froisser trop vivement
les idées chinoises. L’opinion publique est peu favorable à
l’accroissement des armées, car en Chine on répète toujours
l’adage de Confucius : « Pour chaque homme qui ne travaille
pas, il en est un autre qui manque de pain! » Les militaires
sont en général fort peu estimés; c’est même, on peut le dire,
la classe la plus décriée de la société.
Rien ne prouve mieux le peu de goût des Chinois pour le
métier des armes que les oeuvres de leurs plus fameux tacticiens,
les généraux Suntze etOutze, fameux guerriers pourtant,
dont la vie et la mort remontent à deux mille cinq cents ans
environ. Ils n’ont pas fait l’éloge de la guerre, comme le maréchal
de Moltke, et de la guerre ils n’ont estimé et vanté que
les moyens de rendre la bataille inutile. Ce qui leur plaît dans
la conduite des armées en territoire ennemi, c’est le stratagème,
la subtilité, la ruse, la « cavalerie de Saint-George »,
dont les Anglais ont si souvent fait un heureux usage.
« Faire la guerre, dit Suntze, c’est, en presque tous les cas,
quelque chose de foncièrement mauvais. Les batailles... ont
quelqué chose de funeste même pour le vainqueur ; il ne faut se
battre que si l’on ne peut s’en dispenser. Ne chercher à vaincre
que par le seul moyen des batailles, des sièges, c’est ignorer à
la fois le devoir du général et le devoir du prince, c’e st ne pas
savoir gouverner, c’est ne pas savoir servir son gouvernement....
Apprenez à vaincre sans vous battre ; plus vous y réussirez,
plus vous vous élèverez au-dessus du bon, plus vous vous
approcherez de l’excellent, de l’incomparable. »
Et ailleurs : « Un bon général ne se laisse pas acculer à
cette extrémité (de livrer bataille ou d’assiéger une ville forte) :
il connaît l’a rt d’humilier son ennemi sans combattre ; il arrive
à se faire ouvrir les portes d’une cité sans répandre une goutte
de sang, et même sans faire luire Son épée, il arrive à conquérir
les royaumes étrangers sans y entrer avec des troupes;
sans user des armées à la tête de ses vétérans il assure au
prince qu’il sert une gloire éternelle, le bonheur à ses compatriotes,
et au monde le repos et la paix. C’est à ce but que doivent
tendre toujours, et sans découragement, les commandants
en chef des armées. »
Il dit encore : « Quand un bon général se met en route,
l’ennemi est déjà vaincu. S’il y a bataille, il doit à lui tout seul
faire plus que tous ses soldats réunis : non pas toutefois par
la force de son bras, mais par la sûreté de son commandement,
sa prudence, et surtout ses ruses. Il faut qu’au premier signal
une partie de l’armée ennemie trahisse et vienne combattre
sous ses étendards. »
Et enfin : « N’oubliez pas d’amollir le coeur de l’ennemi par
une musique voluptueuse! »
Pour se conformer à ces sages préceptes, l’armée chinoise
possède aussi des bataillons d’ « épouvanteurs » — du moins
pourrait-on nommer ainsi : des « braves » ayant pour fonction
d’effrayer l’ennemi par des cris, des bonds, des rugissements
et par les masques horribles dont ils se cachent le visage.
En tout cela les Chinois sont fidèles à leur esprit pacifique,
p ra tiq u en t retors.
Dans ses Mémoires sur les Chinois, le Père jésuite Amyot
a d it fort justement :
« A les juger par leurs coutumes, par leurs lois, par la
forme de leur gouvernement, et en général par tout ce qui
s’observe aujourd’hui (au x v i i ’ siècle) parmi eux, on conclura
it sans hésiter que c’est la nation du monde la plus pacifique
et la plus éloignée d’avoir les brillantes qualités qui font les
guerriers. Leur génie naturellement doux, honnête, souple et
pliant, doit les rendre beaucoup plus propres au commerce de
la vie qu’aux actions militaires et au tumulte des armes. Leur
coeur, toujours susceptible de la crainte des châtiments, toujours
resserré entre les bornes d’une obéissance aveugle envers
tous ceux que la Providence a placés sur leurs têtes, doit être
comme incapable de former ces projets hardis qui font les
héros. Leur esprit, presque étouffé par un nombre infini de
petites pratiques, fait que, dans l’âge même le plus bouillant,
le sang ne semble couler dans leurs veines qu’avec une lenteur
qui fait l’étonnement de tous les Européens. Leurs préjugés
ou, si l’on veut, leur bon sens, ne leur font envisager qu’avec
une espèce d’horreur cette triste nécessité où les hommes sont
quelquefois réduits d’attenter à la vie d’autres hommes. Tout
cela doit contribuer, à la vérité, à faire des fils respectueux, de
bons pères de famille, de fidèles sujets et d’excellents citoyens,
mais ne doit pas inspirer de courage au soldat, de valeur à
l’officier, ni de vues au général. »
Comme le fait remarquer M. de Contenson, Ton ne trouve
nulle part en Chine, pays essentiellement bourgeois, une arme
quelconque, un sabre richement, artistiquement orné, tandis
qu’au Japon, pays féodal jusqu’à ces derniers temps, les sabres