Tous les trois ans, 18 000 à 20 000 candidats y arrivent, le
pinceau à la main, aux grandes épreuves de concours, et ils
sont reçus dans le t palais des examens littéraires », gigantesque
ensemble de bâtiments, d’ailleurs sans aucune grandeur
ou beauté, contenant ensemble 13 799 cellules, d’après le
compte officiel ; mais en réalité il y en a plus : il faut dire
qu’elles méritent plutôt le nom de niches avec leur largeur d’à
peine un mètre, leur profondeur d’un peu plus d’un mètre,
leur hauteur de deux.
Si c’est une ville d’examens, c’est également une ville de
solliciteurs qui viennent « s’asseoir sur le banc froid », suivant
l’admirable expression chinoise, et implorer une fonction, un
avancement, un passe-droit, un service quelconque, et, s’il se
peut, la main à la poche. Et c’est aussi une ville de mandarins
retraités.
Ville d’industrie, Tchingtou ne donne plus de bronzes
merveilleux comme antan, mais elle fabrique en grand des
couteaux d’un bon marché fabuleux, très appréciés en Chine,
et des chapeaux de paille dont la modicité de prix n’est pas
moins extraordinaire : à peu près dix fois moins qu’en Europe
à valeur intrinsèque égale.
Comme ville de commerce, elle trafique de plantes pharmaceutiques
dont les Chinois font une consommation qu’on
peut dire extravagante, d’opium, de laines et de peaux venues
du Tibet; et quand les eaux sont hautes, c’est-à-dire durant
six mois sur douze, de mai en novembre, il lui arrive, à huit
cents lieues de l’Océan, mais non sans peine, des jonques de
plus de cent tonnes.
La plaine dont Tchingtou fou occupe le centre, et qui fait
de cette capitale une des cités nécessaires de la Chine, est un
immense jardin, l’un des mieux cultivés du mondé1, où l’eau
des « Quatre Fleuves », le Min et ses tributaires, se divise en
canaux d’eau pure, ramifiés en d’innombrables filets entre les
vergers, les rizières, les plates-bandes de légumes. Outre la
capitale, cette plaine est parsemée de dix-huit chefs-lieux ayant
le rang de tcheou ou de hien, de plusieurs autres villes non
murées et de villages ayant plus d’habitants que n ’en ont
maintes cités commerçantes : il est probable, croit-on, qu’une
population de 4 millions d’habitants est groupée dans ce
bassin dont la superficie ne dépasse pas 6 000 kilomètres
carrés : soit donc l’extraordinaire densité de six ou sept personnes
à l’hectare.
L’énorme production agricole de cette plaine a fait, il va
sans dire, de Tchingtou un grand dépôt de denrées, mais la
ville est aussi fort industrieuse, et c’est par milliers qu’on
y compte les tisseurs d’étoffes, les teinturiers et les brodeurs.
Enfin, commercialement parlant, c’est l’entrepôt du transit
de la vallée du Yangtze kiang avec le Tibet d’une part, et de
l’autre avec le Setchouen septentrional et le Kansou, par
Kouan hien ou la « Ville de la Porte », située au nord-est, à
l’entrée des gorges du haut Kialing, la principale rivière du
Setchouen oriental.
La fraîcheur, la richesse, la fécondité de la Grande Plaine
où murmurent les rigoles remplies des eaux du Min, et la haute
draperie des monts blancs de neige en la saison — ainsi les
Alpes au-dessus du Piémont et de la Lombardie, les Pyrénées
au-dessus de la Bigorre, — font des campagnes de Tchingtou
l’un des paradis de la Chine. « C’est un enchantement que cette
nature, qui a l’air japonaise, un peu artificielle, ces paysages
arrangés où semble s’être complu le caprice d’un maître décorateur,
avec des lignes moins heurtées qu’au Japon, je ne sais
quoi de plus harmonieux et de plus ample, une végétation
plus vigoureuse et plus drue : mais aussi comme au Nippon
il y a de la gaîté dans l’air. » (Monnier.)
On y visite, dans les environs immédiats de la grand’ville,
le couvent de Tsaotang, les pagodes de Woukeoutze et de
Tsinyangkong. Ce couvent abrite la sépulture de Toufou, l’un
des poètes populaire du « Milieu », contemporain de Charles
le Simple et, puisque nous sommes en Chine, « autant dire
d’hier ». Cette pagode est le dernier séjour d’un empereur du
temps de Septime Sévère et de Caracalla, donc d’ « avant-hier ».
La pagode de Tsinyangkong est tellement originale et belle
que Fauteur du Tour de l’Asie n’hésite pas à y voir un des plus
magnifiques spécimens de l’architecture religieuse en Chine,
parfaitement digne des conceptions des grands artistes japonais
auxquels on doit les merveilles de Nikko et de Nara.
D’après la tradition du Setchouen, elle occuperait le lieu de
naissance de Laotze, le philosophe qui prêcha le taoïsme :
mais d’autres légendes donnent à celui-ci pour patrie soit le
Houpé, soit le Hounan.
A une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Tchingtou,
Kioungtcheou, sur la route de Yatcheou, au pied oriental
des monts qui limitent la plaine, aurait plus de 50 000 résidants,
population faite en partie d’immigrants du Fo’kien,
province littorale, et fort redoutée dans le pays pour, son
esprit de violence. Ville de papeteries, elle produit le meilleur
papier de la Chine : ce n’est pas peu dire.