le nombre des cercueils permette de former de grands convois.
Outre les cimetières et les allées de tombeaux permanents, on
voit en maints endroits et principalement sur les hauteurs, des
nécropoles d’attente, villages mortuaires ne renfermant que
des urnes funéraires ou des cercueils, tous gracieusement
décorés de peintures emblématiques représentant des fleurs,
des oiseaux, des instruments de musique.
C’est un fait connu de tous que les Chinois morts à l’étranger
demandent également le retour de leur corps dans la patrie, et
que des navires sont frétés pour les cadavres par les soins des
sociétés de secours mutuels auxquelles appartenaient les trépassés.
Ainsi des vaisseaux ayant des cercueils pour tout fret,
ou pour fret principal, partent entre temps de San Francisco,
de Singapore ou d’ailleurs et vont débarquer leurs rapatriés
morts dans quelque port du grand pays natal.
Il arrive, et bien trop souvent, la Chine étant en de nombreux
districts surpeuplée jusqu’à l’extrême limite, il arrive
que meurent dans les rues, sur une place, un terrain vague ou
au long des routes, ici un mendiant, là un fumeur d’opium, un
malade, un estropié faisant argent, c’est le lieu de dire faisant
sapèques de ses plaies, mais très peu de sapèques. Des sociétés
de cercueils gratuits, ayant, comme nos compagnies des
Pompes funèbres, des cercueils « convenables » en magasin
et un personnel de fossoyeurs, de croquemorts, se chargent de
ramasser, ensevelir et enterrer les pauvres hères.
Des temples spéciaux se sont élevés pour recevoir les
tablettes commémoratives des ancêtres et celles .des malheureux
morts sans que des enfants puissent leur rendre les honneurs
suprêmes. Chaque année, au mois de mai, les visiteurs
vêtus de blanc, la couleur du grand deuil, vont porter sur les
tombes et dans les temples mortuaires des fleurs, des fruits et
d’autres offrandes, sur lesquelles s’abattent aussitôt les oiseaux
nichés dans les arbres environnants.
Dans ces lieux sacrés, où se rencontrent parfois des milliers
d individus appartenant à toutes les classes de la société, il
n ’y a point de distinction de rangs, d’acception de personnes,
et c’est l’âge seul qui règle la préséance.
La cérémonie du culte des ancêtres, compliquée de-rites,
allocutions, prières, repas en commun, que les vivants mangent,
mais que les morts sont censés déguster aussi, comporte une
lecture du « livre de famille », cahier ou suite de cahiers où
sont écrits plus ou moins brièvement les archives et chroniques
de la famille, les dates des mariages, des naissances,
des décès, le a cursus honorum » des aïeux illustres, la vie de
tels et tels d’entre eux, les testaments, pièces importantes,
jugements des juges familiaux — puisque le chef de la famille
en est aussi le juge.
Ces » livres de famille» font foi en justice; le cas échéant. On
peut les considérer comme constituant l’état civil des Chinois,
l’administration s’étant de tout temps dispensée d’inscrire sur
des registres cotés et paraphés les unions, les morts, les naissances
et adoptions, les dates majeures de l’existence d ’un
chacun.
A force d’entendre dans le cours des cérémonies a ancestrales
» les dates familiales, ces jugements, ces biographies, et
aussi ce qui s’y lit en dehors du cercle étroit de la a dynastie »,
vies des hommes illustres, des sages reeommandables, des lettrés
et mandarins à divers boutons, le moindre prolétaire finit
par s’assimiler les faits et dits mémorables des siens pendant
une longue série d’années, alors que les Européens du a commun
» remontent très rarement au delà de leur grand-père.
Si donc les derniers des paysans, lesjournaliers, connaissent
la plupart l’histoire de leur famille, de génération en généra-
ration jusqu’à des siècles en arrière, s’ils peuvent non seulement
dire les noms des leurs, mais encore les faits qui les recommandent
au souvenir de leur postérité, c’est en regardant
derrière eux, vers la lignée de leurs ancêtres, qu’ils se sentent
immortels. - ■-■■■ *;,'j s.'.m'j
Aussi les malheureux exclus de la famille sont-ils par cela
même presque en dehors de la société. La principale cause du
mépris que les Chinois éprouvent pour les bonzes provient de
ce que ceux-ci ont renié les liens de la parenté ou ont été
vendus en bas âge aux couvents : à peine peut-on le» compter
encore parmi les hommes.
Le trè s éminent panégyriste des Chinois, Eugène Simon,
s’est livré à des considérations profondes sur le culte des ancêtres
: là où presque tous voient le principe d’apathie et de
caducité du Royaume Fleuri, ce qu’il y trouve, lui, c’est la
raison de sa force, de sa durée, et la promesse de1 son avenir
indéfini.
Il vaut certes qu’on l’écoute, encore que sa passion pour
la Chine paraisse quelquefois excessive :
a Après avoir établi, dit-il, par la solidarité éternelle des
générations l’éternité de l’âme, les Chinois considéreraient
comme contradictoire que sa séparation d’avec lé corps lui
fasse perdre aucun de ses attributs. L’âme se souvient; elle
aime. Réunie aux autres âmes de la maison, en attendant qu’elle
réapparaisse sur la terre, elle plane avec elles au-dessus de la
famille, souffre de ses douleurs, est heureuse de ses joies. Si