hériter du Grand et Pur Empire, l’intégrité du * Milieu » pourrait
bien n’être avant longtemps qu’une chose du passé; e t
surtout la puissance qui grandit au nord de la Chine propre
comme de la Chine tributaire, pèse visiblement d’un poids de
plus en plus lourd sur les frontières du Nord et de l’Ouest.
La Russie est limitrophe du territoire chinois sur une
longueur développée d’environ 8 000 kilomètres, et plus de la
moitié de cette ligne est tracée en des contrées soumises
autrefois au « Fils du Ciel ». Tout ce que le Tsar blanc, ainsi
que les nomades appellent l’empereur de toutes les Russies,
s’est annexé temporairement dans le pays de Kouldja appartenait
à la Chine, il y a quelques années, et ce n’est pas sans
en garder un fragment que la Russie a bien voulu consentir à
rendre le dépôt confié.
La Transbaïkalie fut également territoire chinois, ainsi
que toute la vallée de l’Amour jusqu’aux pâturages où les
Toungouses du nord paissent leurs troupeaux de rennes.
Maintenant tout le territoire de la rive gauche, plus grand que
la France, fait partie intégrante de la Sibérie, depuis tantôt
quarante ans, et la rive droite également, à partir de la rencontre
de l’Oussouri. Ainsi, la côte de la Mandchourie jusqu’aux
frontières de la Corée est devenue russe, et ses ports méridionaux,
d’où les flottes à vapeur peuvent atteindre en deux
jours les rivages du Japon, ont reçu le nom de « golfe de Pierre
le Grand », comme pour rappeler à l’Europe que du côté de
l’Orient l’Empire des tsars songe à s’agrandir aussi bien que du
côté de l’Occident.
Bien plus encore : à la suite de la brusque intervention des
Allemands dans les affaires de la Chine et de la prise de possession
par eux d’un précieux rivage de la province du Chaü-
toung, la Russie s’est assuré pour quatre-vingt-dix-neuf ans,
ce qui veut dire : pour toujours, dans le langage diplomatique
de 1900, le magnifique Port-Arthur, au bout de la presqu’île de
Liao toung, à l’entrée du golfe du Petchili ; et personne, bien
sûr, ne les en délogera, pas même les Anglais, qui se sont
installés, en vertu de la même fiction diplomatique, à Wei haï
Weï, sur la rive opposée, dans une baie méridionale de la très
large passe qui de la Mer Jaune mène les navires à ce même
golfe de Petchili.
Ce n’est pas tout, ce n’est même rien que tous ces avantages,
ces acquisitions de domaines, ce port voisin de Péking
dans une mer libre de glaces, à côté de la force irrésistible que
va donner, dans deux ans au plus, le chemin de fer transsibérien
à la nation dont les vagons rouleront jo u r et nuit, sur
10 000 kilomètres de rails entre la frontière de l’Allemagne et
l’Océan de Chine et Japon.
Ce transsibérien, puissant i instrumentum regni » sera
probablement à brève échéance, suivi d’un « transasiatique »
ou d’un e grand central » également russe : autre organe de
domination qui mènera de la « Terre Noire » à ia < Terre Jaune »
par le chemin que prirent en sens contraire les antiques invasions
des « Barbares », des Huns, des Mongols, celui qui conduit
sur l’argile durcie des steppes, du pied de l’Oural au haut
de l’Irtîch ou dans le val de l’Ili : l’Irtîch, l’un des deux constituants
du « vaste » Ob’, fleuve sibérien ; l’Ili, tributaire du
Balkach, lac sans déversoir. De l’un comme de l’autre des
brèches de la montagne, des « portes dzoungares » s’ouvrent
comme à deux battants entre l’Asie occidentale et l’Asie centrale
: Tune d’elles, celle de l’Ili, n ’est même pas à 250 mètres
d’altitude. Arrivée sur les plateaux turcs et mongols la route
se déroulant vers le sud-est, atteint le Kansou mongol, d’où
elle descend dans le Kansou chinois à Lantcheou, capitale de
la province ; et de là rien de plus aisé que de gagner Singan-
fou, l’ancienne métropole de la Chine et la résidence actuelle
de 1 empereur (1901). S’il est une voie ferrée facile à tracer de
1 Europe au coeur du * Noble Empire », c’est bien ce * Grand
central » de Moscou à Hankoou par la Steppe, Tune des portes
de la Dzoungarie, Lantcheou et Singan.
Bientôt, « et qui qu’en grogne », suivant la rude expression
du vieux français, ce que la Russie voudra, sera : tout au
moins dans la Chine du nord et sur les immenses plateaux de
lAsie intérieure. Turkestan, Mongolie, Mandchourie, même
libet, Corée, tout lui semble dévolu; et ce n’est ni le Japo-
nais ni l’Anglais qui pourra mettre le holà! telles sont les pro-
habilités du très prochain avenir.
Et plus tard, ce poids terrible, qui manque d’écraser le
nord de l’Empire, pourrait bien fatiguer, et finalement aplatir
le reste de la Chine.
Sans prévoir trop à l’avance, il est et reste certain que
dès aujourd’hui, lorsque la Russie, son transsibérien étant
achevé, son Port-Arthur devenu un Sébastopol imprenable,
jugera le moment venu d’en finir avec la résistance de là
Chine septentrionale, et, d’annexer les steppes sans bornes à
1 occident de la Grande Muraille, personne ne sera de force
a la contraindre au recul; ou si elle recule une fois, elle ne
battra pas deux fois en retraite !
Les Russes n’ont pas seulement pour eux cette ligne de
N U I Port-Arthur, et une puissance militaire terrible
aouhlée de 1 impénétrabilité de leur énorme Empire, leur force
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