des Mandchoux. Tous les trois ans le « fils du Ciel » passe en
revue, comme jadis Assuerus, ces jeunes beautés (au-dessus
de douze ans) et fait son choix : les élues habitent le harem
jusqu’à vingt-cinq ans, et à cet âgè-là le quittent, à moins que
Sa Majesté ne leur doive un ou plusieurs « petits-fils du Ciel » ;
les « petites filles » ne comptent pas. Légalement les princes
n’ont aucun pouvoir quand ils n’ont pas été désignés spécialement
par l’Empereur à une charge quelconque.
Ainsi qu’en tout pays monarchique les familles honorées
par l’entrée d’une de leurs filles dans l’intime familiarité du
monarque ne s’en montrent pas médiocrement fières, et elles
en tirent parti, s’il se peut, pour leur avancement politique et
leur « rehaussement social ».
Le service du palais est fait par des milliers d’eunuques,
D’après le code des cérémonies, « l’empereur a droit à trois
mille de ces serviteurs; ses fils et petits-fils peuvent en avoir
trente au plus, ses gendres et les princes aussi, « sinon pour
le service, au moins pour la montre ou l’ostentation ». Ils se
partagent en 42 classes, avec émoluments maximum de douze
taëls par mois, soit de 45 à 60 francs, suivant la valeur du taôl,
soumise à l’agio.
Comme on le pense bien, ce divin Empereur, ces ennuques,
ce harem, ces courtisans et parasites, coûtent à la Chine bien
plus qu’ils ne lui valent ; d’audacieux virements de fonds entretiennent
ce luxe et ces inutilités. « Ainsi, dit Pierre Leroy-Beau-
lieu, pour célébrer dignement le soixantième anniversaire de
l’impératrice douairière, on a dépensé, peu d’années avant la
guerre avec le Japon, les fonds destinés à la réorganisation de
l’armée du Petchili; ainsi encore, afin de détourner une rivière
qui aurait gêné le tracé des jardins d’un palais impérial, on n ’a
pas hésité à ruiner des milliers de paysans en inondant leurs
champs. »
Un ministère spécial est chargé de la maison de l’Empereur
et dirige l’éducation des princes, qui pour la plupart n’ont de
dignités que dans les armées mandchoues; c’est parmi eux
que le souverain choisit son héritier, presque toujours un des
enfants de l’Impératrice.
Lors du décès d’un Empereur, toute la vie sociale doit être
interrompue : les grands revêtent le blanc, couleur de deuil,
pour un an, les hommes du peuple pour cent jours, et pendant
ce temps, ils ne doivent plus célébrer ni mariages ni fêtes ; les
étoffes éclatantes sont défendues; chacun doit laisser pousser
ses cheveux; les barbiers, dont la profession est frappée d’interdit,
deviennent temporairement des pensionnaires de l’État.
« Perdu dans la grandeur », le Fils du Ciel
iii délègue ses pouvoirs au neïko et au hioun
l e s kitchou. Le premier de ces grands corps de
m i n i s t è r e s l’État, dont le nom veut dire à peu près Chancellerie
Impériale, ou Grand Secrétariat, a perdu
dans ces derniers temps la réalité du pouvoir,
qui a passé au second, au Grand Conseil d’État, sorte de Conseil
privé de quatre ou cinq membres. Théoriquement, c’est le
neïko, composé par moitié de Mandchoux et de Chinois, qui
rédige les lois, qui promulgue les décrets et qui en surveille
l’exécution.
En vertu du principe qui fait de l’instruction et de la réussite
aux examens la source des honneurs, les deux présidents
du neïko, c’est-à-dire les chanceliers de l’Empire, sont les
directeurs de l’Académie des Hanlin : ce sont eux qui proposent
les lois dans les séances du Grand Conseil souverain, eux qui
arrêtent la forme des ordonnances, qui soumettent les documents
officiels à l’Empereur, afin qu’il les annote de son pinceau
vermillon, et qui font publier les décrets dans la Gazette
de Peking.
Avant d’être présentées, en théorie au Conseil des neïko, en
pratique au Conseil des kioun kitchou, les diverses affaires sont
soumises à l’examen particulier de l’un ou l’autre des groupes
de grands dignitaires : le Tribunal des censeurs, qui a la haute
main sur 56 sous-censeurs répartis dans les dix-huit provinces,
la Cour supérieure de justice, la Cour des référendaires du neïko
et le Lou pou.
Le Lou pou, c’est l’ensemble des sept ministères :
Ministère des finances, jadis peu occupé, quand la Chine
était sans dette publique, alors que le fisc * national » pouvait
se montrer sans exigences et laisser le plus gros des revenus
aux provinces et aux communes. Il en sera tout autrement
désormais, depuis que l’Europe, dans ses démêlés avec le
« Milieu », le considère comme un État centralisé, responsable
pécuniairement. A grand livre de dette publique, il faut grand
ministère ;
Ministère du service publie ou ministère du personnel,
jadis » ministère de la population », qui était en réalité le ministère
de la colonisation, alors que les * Cent familles » se répandaient
peu à peu sur le pays, à la façon de la tache d’huile ;
Ministère des travaux publics, menacé de croissance subite
par la construction des chemins de fer, les travaux des mines,