entrelacées, maçonnées d’une boue argileuse promptement
séchée par le soleil.
Si habile soit-il, tout ce réseau de digues latérales, à l’entretien
et à la réparation desquelles soixante mille ouvriers
sont constamment occupés, a pour effet inévitable d’exhausser
les rives par le rapide dépôt des alluvions dans les compartiments
du bord. La différence de hauteur entre le niveau fluvial
et celui des plaines basses s’accroît en proportion ; plus on
élève les digues, et plus le fleuve est i menaçant ; le péril
augmente en raison même des efforts que font les populations
pour le conjurer.
Il est un moyen de prévenir parfois le ; désastre, de la
rupture des digues. Lorsque le Hoang ho est « suspendu »,
pour ainsi dire, au-dessus des campagnes, on peut avoir
recours au creusement de canaux qui emportent le trop-plein
des eaux vers l’une ou l’autre des cavités marécageuses ou
lacustres situées au nord du Yangtze kiang, dans la province
de Kiangsou. C’est ainsi qu’en 1780 l’empereur Kienlong fit
creuser en quinze mois un canal de 100 kilomètres de longueur
qui rejetait une moitié du Hoang ho dans le Hangtzô,
lequel est une très vaste lagune à une centaine de kilomètres
au nord de Nanking, à toucher la « rivière des Transports », à
l’ouest. Ce Hangtzô reçoit la longue rivière Hoaï.
Ouverts à temps, les canaux de décharge
iv soulagent considérablement le Hoang ho ; ils peu-
in o n d a t io n vent très bien empêcher la formation de cre-
b t vasses. Mais n e . sont pas tous prévus,, et les
d é p la c em e n t s changements des saisons, et les oscillations du
d u fleuve. Les digues ne sont pas toujours et par-
ho ang h o tout dans un bon état d’entretien, surtout aux
époques de dissensions et de guerres: civiles,
ou bien p a r suite de la prévarication des .mandarins ; et tantôt
sur un point, tantôt sur un autre, le fleuve s’ouvre une brèche
à travers ses levées pour continuer son oeuvre géologique,
le remaniement de la plaine.
Grâce à ces continuels déplacements de lits, le sol des campagnes
inondées s’exhausse, mais les moissons de contrées
entières sont noyées à la fois, et des millions d ’hommes sont
en proie à la famine.
Autre désastre, en même temps : ,des villes et des villages
sont rasés par le flot, car les Chinois n’ont pas su, comme les
Egyptiens d’autrefois et les Californiens modernes,, bâtir leurs
groupes d’habitations sur des plates-formes artificielles supérieures
au niveau des nappes d’inondation. Le Hoang ho est
resté le Nih ho ou « Fleuve Incorrigible », ainsi que le nomment
d’anciens auteurs chinois. C’est peut-être aussi par allusion à
ses débordements redoutables que les Mongols ont donné au
* Fléau des Enfants de Han » le nom de Kara Mouren ou
« Rivière Noire », cité par Marco Polo. Les populations riveraines
sont à la merci du premier chef d’armée ou de bandes
qui renverse les digues. En 1209, une irruption du Hoang ho
dans le camp de Djenghiz khan fut la cause de l’une des rares
défaites qu’eut à subir le conquérant. En 1642, un mandarin
noya 200 000 habitants dans la Ville de Kaïfoung fou, et plus
tard l’empereur Kanghi fit périr de la même manière un demi-
million de ses bons Chinois.
La plaine dans laquelle se déplacent successivement les
eaüx du Fleuve Jaune comprend l’immense espace qui s’étend de
la bouche du Peï ho à celle du Yangtze kiang. C’est tout simplement
la presque « intégrité » de la grande plaine chinoise, l’un
des principaux terroirs agricoles du monde, et de beaucoup le
plus densément peuplé jusqu’à ce jour : du nord au sud, elle
se développe sur HOO kilomètres et même au delà, avec largeur
de plus de 300 kilométrés en Son septentrion, de près de 500
dans son milieu, de plus de 600 dans son midi.
Dans cette «■ plaine » plus longue que la France et quatre
fois plus habitée, car on ne peut pas lui attribuer moins de 150 à
175 millions d’hommes, dans ces alluvions extraordinaires le
fleuve se balance à droite et à gauche sur une étendue d’environ
900 kilomètres du nord au sud. En aucune autre région de
la Terre on ne voit un exemple de changements aussi considérables
dans l’histoire contemporaine des fleuves. Pour se faire
une idée de ces déplacements de cours, qui ravagent un pays
égal en superficie à la Grande-Bretagne, il faudrait s’imaginer
le Rhin cessant de couler vers la Hollande, en aval de Cologne,
et se dirigeant à travers les plaines du nord de l’Allemagne,
par delà Weser, Elbe et Oder, jusqu’à l’embouchure actuelle de
la Vistule dans la mer Baltique.
C’est que le « Fléau des enfants de Han », dit aussi le
« Crève-coeur de la Chine », après avoir serpenté dans sa plaine
alluviale, fond comblé d’une ancienne mer, vient se heurter
précisément contre la pointe occidentale des montagnes du
Chantoung; son courant se détourne, soit à droite, soit à
gauche du môle énorme, et l’exhaussement artificiel des eaux
fluviales par les digues riveraines aide à la violence avec
laquelle le courant se précipite d’un côté ou de l’autre pour