Mais, dans l’intérieur du pays, il existe encore des populations
aborigènes qui ne se sont pas fondues en une seule race
avec les Chinois, et que ceux-ci considèrent comme des barbares.
Ainsi des Miaotze vivent au nord-ouest de la province de
Kouangtoung vers les sources du Lientchou, affluent occidental
du Pe kiang; d’autres habitent le Kouangsi, où ils sont constitués
en communes autonomes sur des terres que leur concéda
l’empereur Yoüngtching, en 1730. Au xvne siècle, d’autres
tribus miaotze auraient aussi peuplé les monts où naissent
les hauts affluents du Han kiang, mais des colons chinois
occupent maintenant toute cette contrée des frontières du
Kouangtoung et du Fo’kien.
Dans la haute vallée du Houngchoui, les cartes indiquent
aussi des Miao-tze, dans lesquels il faudrait voir, d’après
Deblenne, de véritables Chan (Shan des Anglais) comme ceux
du Laos et du haut Tonkin. Les Chinois les désignent par les
termes de Tchoung ou I-kia.
Les Yao (Yiu), groupe de tribus que l’on dit d’origine bar-
mane, parcourent un pays de montagnes au sud-ouest du
Kouangtoung, non loin de la frontière d’Annam. Le nombre des
Yao de divers dialectes s’élèverait à moins de 30 000 individus :
aussi ne peuvent-ils songer à se défendre contre les Chinois par
la violence; c’est par la ruse qu’ils ont jusqu’à maintenant
réussi à sauvegarder leur indépendance. Ils offrent l’exemple,
assez rare dans l’Extrême Orient, d’une population ayant gardé,
comme les Tcherkesses, les Chkipetar, les Corses, la coutume
de la vendetta, poursuivie de famille en famille pendant des
générations entières. Mais, comme en Corse et en Albanie, les
femmes restent en dehors de la lutte héréditaire; tandis que
les hommes se cherchent et se combattent, elles peuvent sans
crainte vaquer aux travaux de la campagne.
Quoique appartenant, sinon à une même race originaire,
du moins à une nation solidement unie par la langue et par
un développement historique commun, les gens de Canton et
les habitants des régions environnantes se divisent en trois
groupes absolument différents : les Hoklo, les Pounti et les
Hakka.
Les Hoklo (Hiolo, Hiaolo) habitent surtout la région du
littoral et les estuaires des fleuves. La signification de leur
nom, tel qu’il est représenté dans l’écriture chinoise, est celle
d’ « Anciens par l’Étude », ce qui semblerait impliquer une
civilisation antérieure à celle des autres habitants ; mais c’est
précisément parmi les Hoklo que se rencontrent le moins
d’individus voués aux professions littéraires. Toutefois ils
sont également connus sous le nom de Fo’lo ou « Anciens par
la Prospérité »; or ces noms de Hoh et Fo’, * Étude » et
« Prospérité», sont ceux qui entrent dans l’appellation de la
province de Hokkien ou Fo’kien. On peut donc supposer que
le vrai sens de Hoklo est celui de « Gens du Fo’kien ». Le dialecte
hoklo diffère peu de celui d’Amoï. D’après la tradition
chinoise, c’est au xive siècle qu’aurait eu lieu l’immigration
des Hoklo dans le Kouangtoung.
La population de bateliers qui occupe, par dizaines de milliers,
les canaux de Canton, comme les estuaires du delta du
Si kiang, se rattache plus intimement aux Hoklo qu’aux autres
éléments du midi et on leur attribue également une origine
fo’kiennoise. La différence du genre de vie en a fait une caste
spéciale, non moins méprisée que celle de la rivière de Fou-
tcheou, et désignée également par des termes grossiers. A
Canton, comme à Foutcheou, les gens appartenant à cette caste
ne seraient pas accueillis sur la terre ferme; de père en fils,
ils vivent sur des barques, errant le long des rives, groupés en
villages flottants. Dans la rivière de Canton, les lieux d’ancrage
deviennent des propriétés héréditaires, et quand une barque
tombe en morceaux, on en construit une nouvelle au même
endroit.
Les Pounti ou « Racines de la Terre » sont les habitants les
plus nombreux des provinces du sud et se glorifient du titre
d’autochtones.
Issus probablement d’un vieux mélange d’immigrants du
nord avec les populations aborigènes, ils se considèrent comme
les maîtres naturels de la contrée, et même, dans le Yunnan,
ils se refusent à prendre le nom de Chinois : ils veulent être
tenus pour une race à part. Représentant l’aristocratie du midi,
les Pounti traitent avec mépris la foule plébéienne des Hakka
et des Hoklo, et même les habitants du nord, qu’ils surpassent
en élégance et en raffinement de moeurs. Leur dialecte, qui est
le beau langage cantonais, a été surnommé pe hoa, c’est-à-
dire la i langue blanche », dans le sens d’idiome par excellence;
un assez grand nombre d’ouvrages littéraires ont été
écrits dans cet idiome.
Les Pounti ont la majorité numérique à Canton et dans les
alentours, mais ils sont menacés par les Hakka prolétaires,
descendants de colons qui s’établirent d’abord dans la partie