la ressemblance des traits et l’identité du costume, on peut
distinguer à première vue les Musulmans des autres Chinois,
grâce à la fierté de leur maintien, à la franchise de leur regard!
et, dans les provinces de l’ouest, à l’habitude qu’ils ont dé
porter des armes.
Ne buvant pas de boissons fermentées, ne fumant ni tabac
ni opium, ils jouissent en général d’une meilleure santé que
leurs voisins d’autres religions ; l’initiative et l’esprit de solidarité
qui les animent leur assurent une prospérité matérielle
bien supérieure à celle du commun des Chinois. Aussi, par
décision des mollahs, les riches marchands musulmans des
provinces de Kansou et de Chensi sont-ils tenus au payement
d’un impôt progressif, qui s’élève parfois aux deux cinquièmes
du revenu, et dont le produit est employé au bénéfice de la
communauté des Mahométans chinois.
D’après la tradition unanime des Musulmans du pays, la
première apparition de l’Islam dans les provinces septentrionales
du Royaume du Milieu date du xip siècle, sous le
règne de Taïtsoung, alors qu’un parent du prophète, Ibn
Hamsa, vint s’établir avec 3 000 immigrants dans la Chine
septentrionale, là où elle tend sur la Chine Centrale, à
Changan, qui est aujourd’hui Singan fou, sur un tributaire du
fleuve Jaune. Fort bien accueillis dans l’Empire, les Mahométans
purent établir en paix leurs mosquées, et leurs prêtres,
imam, khabib, muedzin, furent investis par le gouvernement
d une certaine autorité civile sur les coreligionnaires de leur
ressort.
C’est vers la même époque à peu près que fut entamée la
Chine méridionale, quand des Musulmans arrivèrent jusqu’en
Yunnan, probablement par la voie de mer. Dès 758, les annales
chinoises parlent de pirates arabes qui mirent à sac les faubourgs
de Canton et pillèrent les greniers impériaux. De tout
temps, les communications entre les Musulmans du Yunnan
et le reste de 1 Islam ont été maintenues, soit par la voie de
Canton, soit p a r celle de Bhamo et de la Barmanie inférieure.
Dans toutes les communautés musulmanes de la province de
Yunnan, où le niveau de l’instruction est plus élevé que dans
le pays du nord, se trouvent des indigènes capables d’interpréter
et de commenter en chinois le Coran et les prières
récitées en arabe dans les mosquées. Ma Tehsing, un des prin
cipaux chefs des Mahométans révoltés, avait visité la Mecque,
Stamboul, Alexandrie, et il y avait étudié les sciences de l'Occis
dent.A
ctuellement, c’est par la Dzoungarie, là où l’Empire chi-
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nois s’ajuste à la province russe de Sémiretchié, que les Hoï-hoï
du nord de la Chine sont en rapport avec les Mahométans de
l’Occident. Les Ouïgour et les Tangoutes du Kansou, autrefois
nestoriens ou lamaïtes, se convertirent à l’islamisme lorsque
cette religion devint celle de tous leurs compatriotes du nord
et de l’ouest dans l’État de Djagataï. Leur nombre s’accrut
d’immigrants du Turkestan oriental, des Mongols musulmans
laissés en Dzoungarie par Tamerlan, et peu à peu ils
conquirent la prépondérance dans cette partie de l’Empire.
C’est là que se trouvent les deux villes de Salar (Hotcheou,
Houtcheou) et Kinkipao, où viennent s’instruire les jeunes
gens dans la connaissance des livres sacrés et dans la pratique
des cérémonies : ces villes représentent la Mecque et Médine
dans l’Empire Chinois. Quelques-unes des cités du Kansou
ont des centaines de mosquées, et tout le commerce a fini par
tomber entre les mains des Musulmans. Ils ont le monopole
des achats de bétail : c’est d’eux par conséquent que dépendait
l’approvisionnement de Peking et des autres villes du littoral,
au nord du Yangtze.
Comparés à leurs coreligionnaires des autres pays, les
Hoï-hoï n’ont pas le fanatisme si commun en Occident chez
les adorateurs d’Allah. Un grand nombre d’entre eux subissent
les examens, conformément aux préceptes de Confucius, et
pratiquent les rites de la religion d’État. Devenus mandarins,
ils ne se refusent point à offrir les sacrifices publics en l’honneur
des génies tutélaires de la contrée.
Il ne faudrait pourtant pas croire que l’esprit de, prosélytisme
ait absolument abandonné les Mahométans chinois. Très
loin de là : les Hoï-hoï se maintiennent soigneusement distincts
de la population païenne, et leurs mollahs s’opposent énergiquement
au mariage des filles musulmanes avec les Mandchoux
ou les Chinois, tandis qu’ils favorisent l’achat de femmes chinoises
par les Mahométans. Tous Sunnites, les Hoï-hoï se divisent
en deux sectes, les Chafié et les Azemi ; mais en face des
païens ils sont unis : lors de la dernière insurrection, tout
différend fut oublié, pauvres ou riches des deux sectes apportant
également leurs offrandes aux imam des deux rites. De
même,i dans le Yunnan, les Panthé firent cause commune avec
plusieurs tribus des Miaotze de la montagne : la haine des
Mandchoux avait confédéré Mahométans et païens.
Le premier soulèvement eut lieu dans le Yunnan, à la suite
de rivalités d’intérêts dans un district minier, où Chinois et
Mahométans travaillaient en groupes séparés. Des combats
eurent lieu dans lesquels l’avantage resta d’ordinaire aux