Ainsi, grâce aux intonations diverses, les habitants
du € Grand et Pur Empire » peuvent obtenir
u des milliers de significations avec les centaines
é c r it u r e de mots qu’ils possèdent, mais le langage n’en
id éog ra phique reste pas moins insuffisant à exprimer l’ensemble
des idées, et la civilisation chinoise a dû appeler
l’écriture à son aide, une écriture synthétique, ne désossant pas
les mots, comme le fait la nôtre.
Le dictionnaire de Kanghi, qui est classique, contient
44449 caractères différents représentant chacun un groupe de
significations distinctes : c’est ainsi que plus de 150 signes,
figurant chacun une série particulière d’idées, se lisent également
i. Les mémoires philosophiques, les ouvrages de haute
littérature ne sont compris que par des le ttré s, et lorsque la
conversation s’élève au-dessus des banalités ordinaires, les
interlocuteurs doivent recourir au pinceau pour figurer les
signes correspondant à leurs idées.
En réalité les Chinois n’écrivent pas, ils peignent. Le verbe
qu’on applique parfois aux calligraphes, quand, peinture à
part, on dit d’un homme qu’il « peint bien » a chez le Chinois
une valeur littérale.
Leur représentation de la pensée est donc idéographique, ou
pour mieux dire hiéroglyphique, après avoir été purement
représentative, et ce n’est pas chez eux qu’il faut chercher
l’écriture phonétique, encore moins l’écriture commode, rapide,
et, comme on dit, cursive.
On ignore la date de l’invention de cette écriture, certainement
très ancienne. Les Chinois la font remonter au temps de
leurs plus antiques empereurs, c’est-à-dire à l’ère mythique,
à 2 700 ou 3 000 avant notre ère.
Quand l’écriture apparut, disent les historiens de Chine,
« les cieux, la terre et les dieux, tout s’agita ; les habitants de
l’Enfer pleurèrent toute la nuit, et les cieux, en signe de joie,
firent pleuvoir du grain mûr. Dès l’invention des signes, le
coeur humain commença ses machinations , les histoires fausses,
les mensonges augmentèrent de jour en jour, les procès et les
emprisonnements « fleurirent », le langage spécieux et artificiel
amena la confusion dans le monde : c’est pourquoi les
ombres des morts pleurèrent durant la nuit. Mais aussi; de
l’invention de l’écriture procédèrent la politesse des relations
sociales et la musique; la raison et la justice se manifestèrent,
la sociabilité régna, la loi fut fixée. Les gouverneurs eurent des
textes pour les guider, les lettrés eurent des autorités à vénére
r : c’est pourquoi les cieux charmés laissèrent tomber des
grains mûrs.
Ni l’étudiant des classiques, ni l’historien, ni le mathématicien
ni l’astronome n’auraient pu faire quoi que ce fût sans
l’écriture. Et s’il n’y avait pas un langage écrit pour tenir
compte des événements, alors les ombres pourraient pleurer
en plein midi, et des cieux il pleuvrait du sang. »
En somme, à peu près ce qu’Ésope disait de la langue.
Et c’est bien le cas en Chine plus que partout ailleurs, car,
sans nul doute, cette écriture si compliquée, qu’il faut des
années pour acquérir à peu près, ce justaucorps qui étouffe la
lansue et l’empêche de se développer librement, a fait le plus
srand tort à l’indépendance et au développement de la pensée
chinoise, il l’a figée, comme les bandelettes arrêtent la croissance
des pieds des « filles de Han ».
Mais sans nul doute aussi c’est bien ce dictionnaire aux
45 000 signes qui a le plus agi pour la durée de la nation.
Au-dessus des idiomes et patois, il a maintenu la langue
nationale, parce qu’il représente, non pas des sons, qui peuvent
varier et varient de province à province, de canton canton,
de montagne à vallée, mais des mots dont le son n importe
guère, puisque la représentation s’en impose à 1 oeil et non pas
^ 1 °Dans la langue ainsi fixée, il n’a pas pu se produire à la
longue de décomposition, comme le passage du latin aux
langues romanes, ni de contradiction entre la langue parlee
et la langue écrite, comme il appert à l’orthographe du français
de l’anglais, du russe. Les sons peuvent varier, du tout au
tout- il en est des mots écrits, des caractères chinois comme
des chiffres sous lesquels tout homme au monde comprend la
valeur même dans les langues les plus différentes. Un Cantonáis,
un homme du Fo'kien lit un caractère de la langue officielle,
et sous ce caractère il range docilement 1 idée qui s en
dégage et qu’il exprime, lui, par un autre son que 1 homme de
Peking.
« Chaque caractère chinois, dit F. Farjenel, est un petit
dessin qui a la prétention (ajoutons : non justifiée) de peindre
les objets et de représenter le mieux possible les idées, au
moyen de plusieurs espèces, de caractères: les figuratifs, les
indicatifs, les inverses, les idéo-phonétiques et les métaphoriques...
; les figuratifs ne sont que la reproduction graphique
des objets eux-mêmes. Dans l’écriture hiéroglyphique primitive,
le dessin était assez fidèle : un cercle représentait le
soleil; une langue, la bouche; deux jambes, un homme, etc.
Avec les transformations nécessitées par le besoin d’une écri