Les ouvriers chinois sont en moyenne beau-
r coup moins payés que ceux de l’Europe et du
l e s Nouveau Monde : le taux du salaire, à Peking, à
o a r s iE R S Changhaï, à Canton, à Hañkoou, varie de 50 cen-
c h in o is times à 1 franc par homme et par jour; au mois
on donne de 30 à 40 francs à un bon domestique.
Il est vrai que le prix de la nourriture est proportionnellement
inférieur à celui des contrées de l’Occident. Mais à l’exception
des ouvriers en soie, mieux rétribués que les autres, peu
de travailleurs ont une alimentation suffisante; en plusieurs
districts, ils n’ont pour toute nourriture que du riz bouilli, des
choux cuits à l’eau avec un peu de graisse et quelquefois du
poisson. La valeur moyenne de leur pitance varie de 40 à
50 centimes par jour; la différence est énorme entre leur régime
et celui des matelots européens qu’ils rencontrent dans les
chantiers de Tientsin, ou de Foutcheou, riant, chantant, faisant
ripaille.
Et cependant ces ouvriers, à l’apparence débile, au visage
pâle, ont une grande vigueur musculaire, et quand il s’agit de
soulever des fardeaux, ils ne le cèdent guère aux ouvriers
anglais.
Dans la Chine du centre et du midi, presque toutes les
marchandises que l’on ne peut expédier par eau sont transportées
à dos d’homme, et c’est merveille de voir comment les
coulis escaladent les pentes, chargés de poids que maint portefaix
de l’Occident refuserait de soulever en plaine. Dans toutes
les villes chinoises, on voit les porteurs de palanquins courant
avec rapidité et se glissant à travers la foule, sans paraître
songer à la lourde charge qui pèse sur leurs épaules; seulement
ils poussent de temps en temps de petits cris gutturaux
comme font les geindres d’Europe ou les pileurs de café
kabyles ; leurs pas et leurs efforts se rythment sur ce gémissement
saccadé.
Dans le Royaume Central, où les associations sont si fortement
organisées, les ouvriers, de même que les autres classes
de la société, ont su se grouper en corps de métier : pour maintenir
le niveau des salaires, ils se mettent en grève ou même
fondent des associations de production ; grâce à leur esprit de
solidarité, à leur admirable discipline volontaire, qui va ju squ’à
l’acceptation tranquille du suicide par la faim, ils finissent
presque toujours par l’emporter. Leur force est si bien établie,
qu’en maints endroits les patrons n’acceptent même pas la
lutte : les ouvriers fixent eux-mêmes le modique taux des
salaires au commencement de chaque saison industrielle, et,
quels qu’ils soient, ces prix sont fidèlement payés.
On ne peut douter qu’ils ne soient à même de s’emparer
facilement de tout l’outillage industriel, s’ils veulent bien faire
trêve aux rivalités de leurs corps de métier, qui forment autant
de sociétés fermées, ennemies les unes des autres.
Organisées en maîtrises, les diverses associations n’accueillent
les apprentis que pour les faire passer pendant deux
ou trois ans par une véritable servitude; elles constituent une
sorte d’aristocratie, au-dessous de laquelle grouille la foule des
individus sans droits, obligés de s’ingénier pour vivre en
dehors des cadres de la société régulière. En temps ordinaire,
les plus heureux parmi ces déclassés sont les mendiants de
profession. Comme les négociants et les ouvriers, ils sont
groupés en associations reconnues, ayant leurs statuts, leurs
fêtes et banquets.
Il faut s’attendre à voir « chavirer » l’organisation ouvrière
de la Chine, dès l’installation de la grande industrie dans le
pays du Peï ho, du Hoang ho, du Yangtze, du Si kiang. En
Extrême Orient comme en Extrême Occident, elle amènera les
biens et aussi les maux qui lui font cortège, et surtout, avant
qu’il soit bien longtemps, la hausse des salaires.
Dans l’instant présent, on peut dire que la Chine dispose
i de bons charpentiers, de briquetiers lents à l’ouvrage, d’excellents
tailleurs de pierre, de fort bons terrassiers, de médiocres
forgerons, de mauvais ouvriers métallurgistes, de mineurs
tout juste passables ».
Or, il n’est pas exact de dire que l’industrie
vi européenne va s’installer en Chine : elle y a déjà
in d u s t r ie s pris pied, autour de quelques grandes villes, et
e u r o p é e n n e s ne tardera guère à envahir aussi la campagne,
e n au long des chemins de fer dont l’Occident s’ef-
ciuNE force de sillonner l’Orient Extrême.
Comme le fait observer, entre autres, Emile
Jung, c’est l’État chinois lui-même qui lui a ouvert la carrière
en se faisant installer par des ingénieurs européens, ici
des arsenaux, là des chantiers, là des frappes de monnaie :
ainsi les Monnaies de Nanking, de Peking, de Tientsin, de
Canton, de Moukden (en Mandchourie) ; les arsenaux de Tientsin,
Changhaï, Hoang pou (Whampoa), Nanking, Outchang,
Foutcheou, Kirin (en Mandchourie); les chantiers de Tientsin,
Changhaï, Foutcheou; à quoi l’on doit ajouter les forges et la
manufacture d’armes de Hanyang, celle de Lantcheou, la
fabrique de wagons de Toungtchang; toutes oeuvres civiles et