C’est une erreur : plus qu’inutile aujourd’hui, elle eut sa
grande utilité.
Sans doute, quand, il y a vingt et un siècles, l’empereur Chi
Hoangti envoya des millions d’ouvriers sur la frontière mongole
pour le u r faire dresser le mur des Dix mille li, des centaines
de milliers d’individus périrent à la tâche ; mais leur oeuvre eut
certainement une grande importance au point de vue militaire,
et, pendant des siècles, les Hioung nou, ancêtres des Mongols,
durent arrêter leurs expéditions de guerre au pied de la
muraille qui limite leur territoire. Les sentinelles des tours
élevées de distance en distance sur la muraille, signalaient de
loin l’approche des cavaliers ennemis, et tous les passages
naturels étaient gardés par des camps. Chaque porte avait sa
garnison, et dans le voisinage de chacune se bâtissait bientôt
une ville qui servait de marché aux populations limitrophes et
leur traçait ainsi d’avance le chemin qu’elles avaient à suivre
dans leurs étapes.
Ainsi tranquilles derrière leur rempart, les Chinois purent
donner une plus grande cohésion à leur unité nationale et concentrer
leurs forces pour entrer désormais en relations suivies
avec le monde extérieur par delà le Thian chan et les Pamir.
Lorsque le mur des Dix mille li, définitivement forcé par
Djenghiz khan, eut perdu toute valeur stratégique, il n ’avait
pas moins protégé l’Empire pendant quatorze siècles.
Telle qu’elle existe actuellement, la Grande Muraille appartient
à diverses époques. Sous le climat extrême de la Mongolie
où les grandes chaleurs succèdent brusquement aux gelées, il
suffit d’un petit nombre d’années pour émietter la plupart des
constructions ordinaires. Il est même douteux qu’une partie
quelconque de la Grande Muraille date de l’époque de Chi
Hoangti, quoique, d’après les chroniques, il eût prononcé la
peine de mort contre tout ouvrier qui aurait pu oublier dans
la maçonnerie une fissure assez large pour laisser passer la
pointe d’un clou.
En réalité, presque toute la partie orientale de la Muraille,
d e là presqu’île des Ordos à la mer Jaune, fut construite au
v' siècle de l’ère vulgaire; et sous la dynastie des Ming;
au xve et au xvie siècle, le double rempart qui défend
au nord-ouest la plaine de Peking fut rebâti deux fois :
aucune des parties de l’enceinte qui ont une valeur architecturale
par la régularité de leurs assises de briques et la beauté
de leurs revêtements de granit ne date d’une époque antérieure
au XIVe siècle. Suivant les changements de règne, les
caprices des gouverneurs et les vicissitudes des guerres de
frontière, le tracé du rempart était modifié; telle partie de
l’enceinte était abandonnée et telle autre était consolidée.
C’est ainsi que s’explique la grande différence des constructions
sur le parcours de la Grande Muraille. Tandis qu’au
nord de Peking elle est encore en état parfait de conservation,
elle n’est, en mainte région de l’ouest, sur les limites du Gobi,
qu’un simple rempart d’argile, et même on n’en voit plus un
vestige sur des espaces considérables : des portes qui s’élèvent
dans le désert çà et là y sont les seuls débris de l’ancien mur
de défense. . . ! h ■ •■ ■ '<
Cependant, même à une très grande distance de la capitale,
les bâtisseurs ont élevé leurs lignes de : fortifications jusque
sur les crêtes des montagnes, à 2000 mètres d’altitude, et ne se
sont pas même arrêtés devant les précipices : le mur franchit
ou contourne tous les obstacles sans laisser à l’ennemi un sentier
de chèvres. .
On n’ignore pas qu’au nord de la Mongolie, dans la région
transbaïkalienne, d’autres murs, attribués par la légende à
Djenghiz khan, rappellent aussi des luttes séculaires,entre des
populations d’agriculteurs et leurs voisins nomades.
Les arêtes de montagnes qui dominent au
v sud la steppe des Ordos se continuent dans le
m o n t s Chansi, à l’orient du Hoang ho, interrompues
d u seulement par les cluses dans lesquelles se resc
h a n s i : o u t a ï serrent les eaux du fleuve.
Dans cette portion de , leur parcours, les
« Montagnes Occidentales », car tel est le sens du nom chinois
de la province du Chansi, maintiennent une direction
parfaitement régulière du sud-ouest au nord-est. La contrée
tout entière a la forme d’un gigantesque escalier s’élevant des
plaines basses du Honan aux terrasses de la Mongolie, mais
chaque degré est bordé d’une longue saillie. Ainsi se forment
des bassins longitudinaux et parallèles, dans lesquels serpentent
les eaux jusqu’à ce qu’elles trouvent une brèche pour descendre
dans la plaine. .
On com p te h u it d e c e s b a s s in s s ’é ta g e a n t su c c e ss iv em en t
du sud-est a u n o rd -o u e s t, à p a r tir du T a k a n g ch an , Ghaîne
h a u te d e 1000 à 1500 m è tre s , q u i com m an d e la g r a n d e p la in e
chin o ise .
Ce premier degré et ceux qui le suivent tout d abord sont
des montagnes basses, mais à mesure qu’on se rapproche de
la Mongolie, il faut traverser des montagnes plus hautes et l’une