laborieux, trop économes, et surtout trop satisfaits d’un salaire
dont la médiocrité fait hausser les épaules aux ouvriers blancs.
On leur reproche avec aigreur, en dépit de cette sacro-sainte
loi de l’offre et de la demande qui fait l’émerveillement des
économistes, on leur reproche de monopoliser peu à peu certaines
industries, aussi bien celles des femmes, le lavage et le
blanchissage, que les pénibles travaux des hommes, l’exploitation
des mines : si peu qu’ils gagnent, ils finissent par s’enrichir,
tandis que leurs concurrents de race blanche s’appauvrissent;
ils ne laissent dans le pays aucune marque de leur
passage, et leurs petites épargnes sont régulièrement envoyées
dans la mère-patrie par des fondés de pouvoir.
De là, dans tous ces pays, les taxes de capitation imposées
au mépris des traités, les mesures vexatoires de toute espèce,
et en mainte circonstance les persécutions directes et les massacres
qui ont fini par amoindrir et, en certains endroits, par
arrêter le courant de l’émigration chinoise vers ces régions de
langue anglaise.
C’est pourquoi le gouvernement de Peking a fini par signer
avec les Etats-Unis un traité qui limite le droit d’établissement
de ses sujets sur le sol de la « Libre Amérique ».
De même les autorités des Philippines et des Indes néerlandaises
n’ont cessé d’opposer toutes sortes d’obstacles à
l’arrivée des Chinois, ne leur permettant de s’établir qu’en des
lieux désignés, leur interdisant diverses professions, les accablant
de taxes particulières, les soumettant à toutes les tracasseries
de la police ; mais le mouvement qui emporte l’excédent
de la population chinoise vers certaines contrées riveraines ou
insulaires de la mer des Indes et de l’Océan Pacifique semble
désormais impossible à contrarier victorieusement : tout ce
qu’on paraît pouvoir essayer, c’est d’en retarder ou d’en
déplacer la marche. Cependant l’annexion des Philippines par
les Yankees pourra contrarier fortement, arrêter même l’invasion
de ce magnifique archipel par les « fils du Grand et Pur
Empire » à moins que les nouveaux maîtres ne les regardent
comme utiles, voire indispensables, dans une région tropicale
où les Anglo-Saxons ne peuvent se livrer aux travaux pénibles.
Il n est pas jusqu’à la péninsule arabique qui ne commence
à recevoir des immigrants chinois : des mahométans du
Royaume Central prennent part chaque année au pèlerinage de
la Mecque et quelques-uns d’entre eux restent dans le pays.
Quoi qu’on fasse, les relations de race à race deviennent
partout de plus en plus fréquentes, et sur mille points à la
fois se dresse cette question majeure de la conciliation entre
blancs et jaunes, comme autrefois entre blancs et noirs, différents
par l’idéal, le caractère, les traditions et les moeurs.
Combien de Chinois hors de Chine? Question à laquelle on
ne peut répondre que par des probabilités plus ou moins hypothétiques,
avec erreur du simple au double, ou en quelque cas
au triple, voire plus encore.
Il y en a dix mille environ en Sibérie, mais ici la question
doit être retournée et passer au futur : combien y aura-t-il
de Russes, dans dix, vingt, cinquante ans, parmi les millions de
Chinois de la Mandchourie?
Au Japon, ils font un nombre inconnu de milliers ; on les rencontre
surtout à Yokohama : on ne les y goûte guère, et eux ils
n’aiment pas beaucoup leurs petits cousins du« Soleil levant ».
Au Tonkin on en connaît une quarantaine de mille, cinq
mille en Annam, une soixantaine de mille en Cochinchine, cent
cinquante mille en Cambodge : soit, avec ceux de notre Laos,
près de 300 000 Chinois dans l’Indo-Chine française. C’est beaucoup,
mais cela ne fait encore qu’un Chinois sur 55 Indo-Chinois,
en estimant le peuple de la colonie à 16 500 000 habitants,
ce qui paraît être un minimum. Ils ne dénatureront
donc pas les Annamites comme d’aucuns font profession de le
craindre : d’autant que ceux-ci ont une langue, une civilisation
à peu près égale à la civilisation chinoise et de longues
traditions ;plus l’appui d’une langue et d’une « politesse » occidentales.
Un million de « fils de Han », plus ou moins, vivent dans le
Siam : s’ils peuvent, quelque part dans le monde, dénationaliser
un peuple, c’est bien celui des Siamois ; mais ceux-ci
sont, on peut dire, appréhendés au collet par la civilisation
« blanche ».
Dans la presqu’île de Malacca et les îles, formant ensemble
les « Établissements des Détroits », ils dépassent 350000 : ici
vraiment prépondérants, sous la domination anglaise, et en
réalité maîtres de la chose publique et détenteurs du coffre d'or
et d’argent. En 1901, le nombre total des Chinois dans les seuls
Straits Settlements était de 228 000 individus, et dépassait une
centaine de mille dans les États malais de la presqu’île. La
moyenne des arrivées de Chinois s’élève à 145 000 par an en
moyenne, mais la plupart s’en retournent, répugnant à épouser
des Malaises.
Dans l’Indochine anglaise et dans l’Inde, on estime qu’ils
sont 50 000.
Dans les Indes néerlandaises on les évalue à un demi-mil-
lion ; donc très nombreux, très influents, très riches et s’enri