Tous les voyageurs et observateurs sont d’accord là-dessus :
gouvernement logique, démocratique, patriarcal; administration
coupable, avec extorsions et pots-de-vin, plèbe tondue
au plus ras par lqs mandarins, effroi général des pauvres sires
à la vue de la casâque jaune et de la plume de paon qui désignent
les grands chefs. Heureusement qu’il y a chez les Chinois
relativement beaucoup moins de fonctionnaires et de
parasites que partout ailleurs.
C’est à cause des méfaits de ces administrants que Marc
Monnier a pu dire que le rêve du Chinois en dehors des « savants
» et des i dirigeants » c’est d’être, non pas précisément
heureux, mais aussi peu malheureux que possible sous le détestable
gouvernement que la fatalité lui impose.
« Le charretier qui, quatorze heures sur vingt-quatre, trottine
comme une bête de somme à côté de sa guimbarde et de
sa haridelle, le porteur de palanquin, dont les épaules sont
tannées par le poids des fonctionnaires ventrus, les bateliers
du Fleuve Bleu, qui manoeuvrent les lourdes jonques à travers
les eaux rapides, tous ces gens-là, terriens ou mariniers, quand
ils ont achevé leur journée, soupent d’une écuelle de riz, font
une partie de dés, fument une pipe et s’endorment tranquillement,
la tête sur une brique ou sur une bûche. Ils souhaitent
silencieusement de ne jamais apercevoir de trop près les boutons
de cristal, les vestes de soie jaune ou les plumes de paon.
Dans le voisinage des mandarins, on ne recueille guère que des
ennuis et des horions : impôts arbitraires, coups de rotin sur
le dos, gifles appliquées sur la joue avec des semelles de souliers.
Les percepteurs, en Chine, sont toujours disposés à
prouver la légitimité de leurs exactions par l’argument décisif
de la cangue. Les sous-préfets, chargés de rendre la justice à
leurs administrés, s’acquittent de leurs fonctions judiciaires
avec un sans gêne très expéditif. Un voyageur américain,
M. Holcombe, vit, un jour, trois Chinois qui, solidement liés par
les poignets, étaient suspendus à un arbre, en plein été, sous
un soleil de plomb.
« Que font là ces gens? » demanda-t-il.
Un fonctionnaire, préservé de la chaleur par une ombrelle
lui répondit gravement :
i Ce sont des individus que j ’accuse d’avoir volé. J ’attends
qu’ils avouent. »
Les trois patients, après trois heures de suspension, furent
descendus à terre. Ils étaient évanouis. Leurs bras étaient
luxés, bleuis, effroyablement enflés. Quand on les eut ranimés,
ils protestèrent de leur innocence. »
Partout l’immoralité, l’injustice et la concussion des
« grands », des « savants », des prétendus t meilleurs ».
Quant au « bon peuple », il garde ses meilleures qualités
d antan, Iaboriosité, sagesse naturelle, grande sève de propagation,
et tantôt la bonne humeur, tantôt la résignation sans
murmures.
Il n ’y a point en Chine de ministère spécial
¡y de 1 instruction publique parce qu e , dans son
l e ensemble, le gouvernement est censé n’avoir
m a n d a r i n a t : d’autre but que l’éducation du peuple. Les
l e s élèves chinois qui ont acquis les premiers rudi-
“ ents de la lecture et de l’écriture et qui savent
l e s déjà lire les cinq King et les autres classiques,
m a n d a r i n s peuvent voir s’ouvrir devant eux la carrière des
» t- Î?"neurs et faire rejaillir leur gloire sur leurs
parents. En effet une des règles fondamentales de l’Empire
est que les places appartiennent au mérite, garanti par des
examens et par des diplômes accordés au concours, c Ici on
apprend à gouverner le pays », dit une inscription gravée sur
la porte du palais académique de Peking. — Et gouverner le
pays, c est observer et faire observer « les trois cents règles de
cérémonie et les trois mille règles de conduite ».
Pour conquérir chaque nouveau grade, il faut subir des
épreuves successives, en sorte que l’administration tout entière
peut etre considérée comme une grande école hiérarchique. Il
est vrai que le gouvernement, lorsque le trésor est vide, se
départit souvent de la règle et commet lui-même le crime prévu
par son propre code, de « vendre le droit pour des présents » :
nombre de mandarins sont redevables de leur place, non à
leurs études ou à leurs talents naturels, mais à leur argent.
Toutefois les administrés n’oublient point l’origine de ces fonctionnaires
et ne manquent pas de la leur reprocher vivement
a ¿occasion.
Quant aux mandarins militaires, Mandehoux d’origine, un
grand nombre d’entre eux doivent à leur nationalité d’arriver
au commandement sans avoir passé par la série des examens •
mais,, contrairement à ce que l’on voit dans la plupart des
autres pays, ils sont considérés comme les inférieurs des
employés civils. Dans les fêtes annuelles où les mandarins
sont réunis, les lettrés se placent à l’orient, c’est-à-dire du côté
le plus honorable, et les militaires se mettent au couchant-
dans les temples de Confucius ils ne participent point aux céré