D’après Leclère, qui, lui, les rattache, non pas à la famille
barmane, comme on le fait d’habitude, mais à la famille mongole,
leurs ancêtres vinrent de la région du Koukou nor, et
colonisèrent d’abord le Chensi, puis l’occident montagneux du
Setchouen, ensuite le Yunnan, enfin le Tonkin, où ils portent
le nom de Mann.
Tout comme au Setchouen on les divise en deux classes,
les « Noirs » et les « Blancs » : noms donnés plutôt à cause du
contraste de leurs moeurs que par suite de la différence du
teint, plus bronzé cependant chez les Lolo Noirs que chez les
Lolo Blancs.
Les Lolo Noirs, appelés aussi Lolo « Crus », vivent pour la
plupart dans les hautes vallées des montagnes du nord et ne
descendent que rarement dans la plaine, si ce n’est pour vendre
leurs denrées. Ils habitent la même contrée que les hommes de
« Zardandan » dont parle Marco Polo, qui avaient l’habitude
de se recouvrir les dents d’une feuille d’or; mais nulle part
dans le Yunnan on ne retrouve une trace quelconque de cette
ancienne coutume.
Les Lolo Blancs, désignés aussi par le sobriquet de
« Cuits » ou « Mûrs », sont épars en groupes dans toute la
province du Yunnan et soumis au gouvernement chinois. Un
grand nombre se font raser la tête à la chinoise et portent la
queue, symbole de civilisation dans le Royaume Central, mais
ils se distinguent bien des Chinois par la vigueur de leurs
muscles et par leur énergie au travail. S’ils n’avaient le nez un
peu aplati et la barbe rare, ils rappelleraient le type européen
par la régularité des traits, la souplesse du corps, le bel équilibre
des proportions. Plusieurs ont des cheveux châtains, le
teint blanc, le visage ovale : on dirait des Russes authentiques ;
mais d’autres ont « les traits lourds que l’histoire assigne aux
anciens Huns ».
Les femmes des Lolo, aimables et coquettes, sont beaucoup
plus fortes que les Chinoises ; elles ne se sont pas soumises à
la mode pour se comprimer les pieds et travaillent dans les
champs à côté des hommes, toujours gaies et prêtes à se
reposer du travail par la danse et le chant : à cet égard, elles
forment un contraste frappant avec les timides et sérieuses
Chinoises, qui se croiraient compromises si un étranger leur
adressait la parole. Elles sont considérées comme les plus
belles femmes de la province et souvent des Chinois choisissent
leurs épouses légitimes parmi ces indigènes, dont certaines,
beaucoup même, ont absolument l’air européen, sauf le vêtement
: encore portent-elles ici ou là « des tabliers multicolores
dont l’aspect rappelle ceux des femmes slovaques de Hongrie,
de même que les hommes portent des vestes brodées, ornées
souvent dans le milieu du dos et qui peuvent rappeler les
anciens dolmans hongrois ». Chez toutes les tribus des Lolo,
la mariée quitte la demeure conjugale dès le lendemain des
noces et n’y rentre qu’après avoir éprouvé les premiers symptômes
de la maternité : qu’elle reste stérile, et par cela même
le mariage est rompu.
A la vue d’une femme, on peut toujours savoir par sa
coiffure si elle est jeune fille, épouse sans enfants ou déjà mère :
non mariée, elle porte une petite marmotte bleue, brodée de
couleurs éclatantes et se terminant en cinq pointes ayant chacune
son grelot d’argent; mariée, elle quitte le bonnet à pointes
pour le chapeau de paille, également orné de boutons de métal ;
mère, elle indique sa dignité par un cordon rouge autour de
sa chevelure; un autre cordon annonce la naissance d’un
deuxième enfant, celui qui, d’après la coutume, prend toujours,
fils ou fille, le rang d’aîné.
Comme occupations, agriculteurs ou mineurs; éleveurs,
ils sont propriétaires non seulement de cochons, ainsi que
leurs voisins et ennemis, les Chinois, mais aussi de boeufs et
de vaches; à la campagne, ils vivent dans des chaumières dont
« l’engrais humain » n’enduit pas et n’empeste pas les abords
comme il fait des maisons des « fils de Han », passés maîtres
en cette matière ; adorateurs de 1’ « inconnu », ils sont simplement
fétichistes, avec cérémonies sur les collines et dans
les bois sacrés.
Tout à l’ouest du Yunnan, sur la frontière du Tibet, le
Salouen, grand fleuve indo-chinois, doit son nom chinois de
Loutze kiang au peuple des Loutze, ainsi dit par les « fils de
l’Empire », tandis que les Tibétains l’appellent Megouïa; on
le nomme aussi l’Arrong ou l’Annou.
Les Loutze n’ont ni la face chinoise, ni la face mongole, ni
la face tibétaine. Venus de l’Inde, comme le croit Desgodins,
ou de l’Indo-Chine, et d’origine malaise peut-être, ce sont des
paysans débonnaires qui entretiennent le moins de rapports
possible avec leurs dominateurs, de bons fétichistes qui vénèrent
surtout les arbres et les rochers où ils supposent que
les esprits malfaisants habitent; ils ont pour clergé des mou-
mos, mourrais ou sorciers qui conjurent les mauvais génies
en battant du tambour, en agitant des sabres, en brûlant des
parfums. D’après Desgodins, la langue des Loutze ne manque
pas d’harmonie, de douceur, mais « la prononciation en est
si saccadée qu’on les croirait tous bègues ».