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 qui  ne mutilent  point  leurs  pieds; mais  récemment  la  mode  
 augmenterait d’année en  année  le nombre  de  ses victimes; non  
 seulement  la mode, mais  aussi un juste  souci  de  l’avenir  chez  
 la  fillette  et chez  ses  parents. Ceux-ci se  disent  :  «  Je  ne  trouverai  
 jamais d’époux pour ma fille, si je  ne  lui fais pas de petits  
 pieds  » ;  et  l’enfant,  qui  sait  déjà  combien  l’on  apprécie  cette  
 «  beauté  »  consent,  demande  même  qu’on  la  supplicie,  sûre  
 qu’elle est d’être vouée au célibat,  si  elle reste  telle que  la fit la  
 bonne  mère  Nature.  Cependant Pouvourville,  dont  l’opinion,  
 généralement  si juste,  importe fort, nous dit que  la mutilation  
 des  pieds  tombe  de  plus  en  plus  en  désuétude  parmi  les  
 Chinoises. 
 Les dames mandchoues  devaient  à  la  dignité  de  leur  race  
 de ne pas  se conformer aux moeurs de la  nation vaincue ; maintenant  
 elles  imitent,  elles  aussi,  ces  moeurs  de  l’engeance  
 «  inférieure  »,  en  prenant  des  chaussures  qui  les  forcent  à  
 marcher  sur la  pointe du  pied  et  qui  sont la cause d’accidents  
 nombreux,  de  maladies  graves  :  c’est  une  mutilation  mitigée. 
 Naguère  la mutilation  du pied  féminin  était  devenue pour  
 les  Chinois  le  signe  distinctif  de  la  «  bonne  société  » ;  nulle  
 jeune  fille  ne  pouvait  espérer  entrer  dans  cette  caste  supérieure  
 si  elle  ne  s’était  soumise  à  la  torture  exigée  par  les  
 juges  de  la  beauté  féminine  pour  transformer  son  pied en  un  
 «  lis  d’or  ». 
 Même,  par  une  singulière  perversion  de  la  pudeur  féminine, 
   les  Chinoises  cachent  avec  soin  leurs  pieds  nus.  Les  
 missionnaires  nous  apprennent  «  qu’ils  ont  parfois  toutes  
 les  peines  du  monde  à  *  extrémiser  »  les  nouvelles  converties, 
   Ponction  des  pieds  étant  considérée  comme  scandaleuse  
 ». 
 C’est  généralement vers  l’âge  de  cinq  ou  six  ans  que  l’on  
 entoure de bandelettes les  pieds  des  fillettes pour en  replier les  
 orteils,  relever en  arc le  cou-de-pied,  arrêter le développement  
 des  muscles. 
 Il  faut que  le  soulier,  disposé  en  sorte que  le moignon y  
 paraisse  encore plus petit qu’il  n’est  réellement,  atteigne  seulement  
 sept  centimètres  et demi de longueur ;  la jambe même  
 participe à l’arrêt de développement provoqué dès l’enfance,  et  
 forme  avec  le  pied  un  fuseau  droit  sans  mollet. D’ailleurs  on  
 emploie des méthodes très différentes  dans  les  diverses parties  
 de  l’Empire  :  l’essentiel  ici,  c’est  le  but  à  atteindre,  et  ce  but  
 est une  horrible  et malfaisante atrophie. 
 Définitivement  estropiée,  la  femme  de  bonne  compagnie  
 ne  peut  plus  soulever  de  fardeau  ni  même  se  livrer  à  aucun 
 travail  pénible;  la  marche  régulière  lui  est  devenue  impossible  
 ; elle est obligée de  s’avancer à petits pas  rapides  et chancelants, 
   en  s’aidant  des  bras  comme  d’un  balancier  :  c’est  la  
 démarche  que les poètes  comparent  aux  ondulations  du  saule  
 agité  par  le  zéphyr.  On  comprend  combien  cette  infirmité  
 augmente la dépendance  de la  femme  dans  le  ménage ;  cependant  
 les  femmes  mutilées  de  la  campagne  travaillent  sans  
 fatigue  apparente  à côté  de  leurs maris. 
 De lointaines traditions rappellent l’existence du matriarcat  
 dans  la Chine  antique  :  «  Avant  l’époque  de  Fohi,  disent  les  
 anciens  livres,  les  hommes  connaissaient  leur  mère  et  ils  
 ignoraient  qui  était  leur  père.  »  Mais  depuis  la  constitution  
 de la  famille  chinoise,  les  lois  et  la  coutume  établissent  avec  
 précision  l’infériorité  absolue  de  la  femme  comme  fille  et  
 comme  épouse. 
 Après  avoir  adoré  son  père  et  sa mère,  elle  doit  adorer  
 son  mari.  «  Si j ’épouse  un  oiseau,  dit  le  proverbe, il  faut  que  
 je   vole  après  lui;  si j ’épouse  un  chien,  je  dois  le  suivre  à  la  
 course;  si  j ’épouse  une  motte  de  terre  abandonnée,  il  faut  
 m’asseoir à  côté  d’elle  et la garder.  » 
 Tous  les  actes  symboliques  des  fiançailles  et  du  mariage  
 rappellent à la femme que la soumission  est pour elle  la  vertu  
 par  excellence.  Quelle  que  soit  la  conduite  de  l’époux  envers  
 elle, il  lui  convient  de  se  résigner  sans  murmure  :  elle  obéit  
 donc en  silence ;  elle ne  peut recourir  ni à  ses  parents  ni  aux  
 magistrats  pour se faire  rendre  justice;  tout  au  plus  peut-elle  
 se rendre dans  le  temple pour y  suspendre,  la tête  en bas,  une  
 figurine  en  papier  représentant  son  mari,  et  demander  à  la  
 «  déesse  de  la  Miséricorde  »  de  changer  le  coeur  de  l’époux,  
 puisqu’il  a  cessé de battre à  sa vraie place. 
 La  plus  illustre  des  lettrées  chinoises,  Panhoeïpan,  qui  
 vivait  au  I e r  siècle  de  l’ère  vulgaire,  a  tracé  le  devoir  des  
 femmes  dans le mémoire classique des Sept  articles.  Elle nous  
 raconte  que  l’ancien  usage  était  d’offrir  au  père,  lors  de  la  
 naissance d’une  fille,  des briques  et  des  tuiles,  «  des  briques,  
 parce  qu’elles  sont  foulées  aux  pieds,  et  des  tuiles  parce  
 qu’elles  sont  exposées  aux  injures de l’air ». « L’épouse ne doit  
 être  qu’une pure ombre  et qu’un  simple écho.  » 
 Lorsque  le  mari  fait  choix,  généralement  parmi  ses  
 esclaves,  d’une  ou  de  plusieurs  femmes  supplémentaires,  la  
 première  épouse  est  tenue  de  les  accueillir avec  bienveillance  
 et de vivre en paix avec  elles. 
 Le mari seul  est possesseur  du droit de divorcer :  sans  en  
 référer  aux  juges, il  peut  renvoyer  sa  femme, même  lorsqu’il  
 ne lui  reproche  que  son  état  de  maladie  ou  ses  habitudes  de