Ils n auraient pas d’alphabet, ils ne sauraient compter ni
les ans, ni les mois, ni les jours (?).
i i j SUi <?es loutze, le long du Salouen, et à l’orient,
le long du Mékong, les Lisou, Lissou, Litzou — ce doit être le
même nom que Loutze — n ’ont pas le même esprit pacifique •
très au contraire. r 1
Ceux d’entre eux qui demeurent dans le voisinage des villes
chinoises et des Moso, leurs frères de race civilisés, payent
régulièrement le tribut; mais ceux des montagnes écartées
sont restés indépendants et il est de tradition chez eux qu’ils
tassent tous les vingt ou tous les trente ans une expédition de
guerre et de pillage chez leurs voisins débonnaires des plaines
« policées ».
Comme certains Peaux-Rouges de l’Amérique du Nord, ils
ne manquent jamais de prévenir leurs ennemis de l’expédition
qu ils vont faire, en leur envoyant une baguette symbolique,
marquée de coches, ornée de plumes et d’autres objets dont le
messager explique le sens redoutable. Au jour dit, ils se présentent
a 1 endroit indiqué, et telle est la terreur des colons
p “'esque touj°u rs vaincus par ces sauvages
armés d arcs et de flèches trempées dans l ’aconit. Les Lisou
s emparent des femmes et des enfants pour en faire des esclaves
et pour les vendre en Barmanie; ils prennent aussi les soieries
et les bijoux, puis ils livrent aux flammes les maisons de leurs
ennemis.
N’empèche que les mandarins nient effrontément l’existence
de ces dangereux voisins et défendent même d’en prononcer
le nom : ayant jadis annoncé au gouvernement la destruction
complète de ces tribus, il leur serait pénible de se
contredire dans leurs dépêches officielles.
En dehors des années où ils se lancent « sur le sentier de
la guerre », armés de longs sabres, d’arcs, de carquois aux
flèches envenimées, et protégés par des boucliers en rotin,
en temps de paix les Lisou sont très hospitaliers et se distinguent
toujours des populations voisines par leur bonne harmonie
et leur esprit de solidarité.
e*,.nCheZ m1? ’. '6, S,°1 ,a PPartient à tous et chaque famille s’in-
talle ou il lui plaît de s’installer pour y semer son grain dans
es clairières naturelles ou obtenues par le feu. Ils commercent
avec les tribus des alentours, et c’est ainsi que de proche en
proche ils obtiennent les caouris (cypræa moneta), ces gracieux
coquillages des Maldives qui recouvrent entièrement les bonnets
de leurs femmes : les pépites d’or, qu’ils recueillent dans
les sables et les alluvions du Loutze kiang, leur servent de
monnaie courante.
Dans leur culte, ils ne vénèrent point Bouddha et n’ont
point laissé pénétrer chez eux les prêtres tibétains, mais ils ont
gardé les pratiques chamanistes qui prévalaient, autrefois
dans tout l’Extrême Orient. Comme chez leurs voisins les
Loutze, leurs sorciers jettent des sorts pour attirer les bons
génies, battent le tambour pour effrayer les mauvais esprits
des fontaines, des rochers et des bois.
Dans le sud-ouest de la province, aux confins du Tonkin,
du Siam, de la Barmanie, se concentrent ou s’éparpillent, suivant
le cas, des Chan, des Kakien, des Peï et Papé, toutes peuplades
médiocrement policées.
Les Chan, les « Barbares Blancs » des Chinois, sont purement
et simplement des Laotiens, autrement dit des Siamois
ou Thaï; leurs tribus obéissent à des mandarins qui désignent
les chefs de villages; ceux-ci garantissent la tranquillité du
pays et perçoivent l’impôt pour le compte de ces mandarins,
qui gardent la « forte somme », le reste allant à la province
ou au gouvernement central.
Les Kakyen, purs Mongols, Tartares « à la face carrée, à
la mâchoire forte, aux yeux obliques », se donnent eux-mêmes
le nom de Singpo, Tchingpo. Gens des plus énergiques, ils
considèrent les Chan comme une race inférieure, bonne tout
au plus à leur fournir des muletiers et des portefaix. Petits,
mais trapus et vigoureux, les Kakyen passent leur temps à
manger et à boire, à soigner l’élégance de leur personne : ils
se tatouent les bras et les jambes, couvrent leurs habits de
coquillages et d’ornements de toute espèce. Ce sont les femmes
qui font tout le travail, même celui de la culture, et qui portent
les fardeaux. Le mari choisit son épouse non pour sa beauté,
mais pour sa force physique, et le père réputé le plus heureux
est celui qui possède le plus de filles, autant d’esclaves surchargées
de travail.
Environnés de bouddhistes, les Kakyen n’ont pas moins
gardé leur ancien culte animiste, et c’est aux nat ou « génies
protecteurs » que s’adressent leurs prières. Suivant une p ratique
encore usuelle dans certaines régions de l’Europe occidentale,
ils mettent une pièce d’argent dans la bouche de leurs
morts, afin de payer leur passage, le grand jour ou la nuit
noire venue, en franchissant le vaste fleuve qui coule entre les
deux vies.