Le procédé de ce massacre des innocents ne varie guère :
les parents prennent eux-mêmes l’enfant nouveau-né pour
l’étouffer en le plongeant dans un baquet d’eau froide.
A quoi donc, encore une fois, faire remonter cette abomination,
sinon à l’excès de la pauvreté? Les mandarins ferment
les yeux, ou ils se bornent à flétrir le crime par des proclamations
et des placards que personne ne lit.
L’impossibilité prévue de fournir une dot aux filles les
voue à une existence de privations ou de déshonneur, et les
parents leur donnent la mort comme le seul moyen de leur
épargner les infortunes de la vie, lorsqu’ils n’ont pas réussi
à les vendre comme esclaves ou comme femmes futures
de quelques garçons du voisinage : dans ce cas, le prix de
vente s’élève en moyenne à une dizaine de francs par année
d’âge.
C’est un fait connu de tous, à la suite de tant de collectes
de sous destinés aux petits Chinois, que les missionnaires
catholiques et protestants recueillent un assez grand nombre
d’enfants destinés à augmenter l’importance de leurs congrégations
; mais la proportion de ces rachetés est relativement
faible : la cause première n’en subsiste pas moins, et la
misère prend toujours ses victimes.
Si l’infanticide, tout en étant sévèrement blâmé par les
moralistes, est toléré dans certains districts, le droit absolu
du père à vendre ses enfants comme esclaves est pleinement
reconnu par la loi. Il est très rare pourtant que les parents
vendent leurs fils ; mais un très grand nombre de filles sont
destinées à la servitude. De riches familles en possèdent ju s qu’à
plusieurs dizaines, et la plupart des ménages chinois
qui vivent dans l’aisance ont au moins une domestique
en propriété. Lés contrats de vente se font d’une manière
solennelle et généralement en plein air, sous le « regard
du ciel ».
D’ailleurs l’esclavage n’est que temporaire pour les femmes,
puisque le propriétaire est tenu de leur trouver un mari et
qu’elles passent alors sous d’autres lois. Les esclaves mâles peuvent
exiger aussi, avant trente ans d’âge, que le maître leur
procure une femme, et, devenus chefs de famille, ils ne tran smettent
la servitude qu’à une partie de leurs enfants : les filles
sont mises en liberté, tandis que l’esclavage persiste sur les
mâles jusqu’à la quatrième génération. Néanmoins les esclaves
sont presque toujours traités comme les autres domestiques,
et les étrangers ne font point de différence entre eux et les
hommes libres. Ils ont le droit de s’instruire dans les écoles,
de concourir pour les examens, d’entrer dans les fonctions
publiques, et le propriétaire doit alors leur permettre de se
racheter, eux et leur famille. Quant aux femmes mariées, les
époux ne peuvent les vendre que comme épouses, non comme
esclaves.
L’écriture idéographique jette souvent un
lfr jour très vif sur la conception de la vie par les
l a f em m e , Chinois. Le caractère que cette écriture consacre
so n à la femme, le caractère n iu , en serait une preuve
in f é r io r it é excellente, en montrant avec clarté en quelle
l é g a l e pauvre estime ils tiennent la compagne de
e t so c ia l e ' l’homme. D’après Douglas, sinologue anglais, le
redoublement de ce caractère répond au verbe
se quereller; quand on le triple, on représente l’idée d’intrigue;
l’idée de ruse se traduit par la juxtaposition du caractère femme
et du caractère arme, tandis que, par un heureux contraste,
l’idée de paix et tranquillité s’exprime par les deux caractères
de femme et de maison, •
Et généralement parlant, c’est le signe « homme » qui est
à la base, à la clé des passions généreuses ; le signe « femme »
à la clé des défauts et des vices, c Ce n’est pas la gueule du
serpent vert, l’aiguillon de la guêpe qui darde le poison ; c’est
le coeur de la femme. »
A côté des lois, des coutumes, qui sont en moyenne peu
favorables à la femme, à côté des histoires qui la maltraitent,
des proverbes qui l’injurient, il est un fait matériel qui,
d’après certains sociologues, témoignerait avec éloquence du
mauvais vouloir des Chinois pour les Chinoises. A supposer
que cette interprétation soit juste, la marque évidente de la
cruelle éthique de l’homme serait la mutilation des pieds, que
doivent subir des millions de filles, même parmi celles qui
sont destinées à une vie de travail.
Lockhart indique l’année 926 comme l’époque à laquelle
cette pratique commença; mais elle ne se répandit que lentement,
puisque Marco Polo et les autres voyageurs du Moyen
âge n’en font pas mention. Maintenant elle est devenue si
impérieuse dans certaines parties de la Chine, que dans les
provinces du nord, sauf à Peking, presque toutes les femmes
s’y soumettent, même celles qui bêchent la terre et qui
portent des fardeaux.
Dans le Setchouen et dans la Chine méridionale, les paysannes
sont complètement affranchies de cette coutume, et