CHA P IT R E QUATRIÈME
COMMERCE CHINOIS
I . VICISSITUDES DU COMMERCE DE LA CHINE AVEC L’É TRANGER. Il I I . L ’A N -
GL E T ERRE SUR M E R , LA RU S S IE SUR T E R R E . Il I I I . LES 3 6 PORTS A TRA IT É . II
IV . COMMERCE EXT ÉRIEUR DE LA CHINE. Il V . LA SOIE, L E TH É , L’OPIUM.
INCOMPARABLE comme agriculteur, le Chinois
en tant que commerçant ne craint la concur-
ncissiTUDEs rence de personne. C’est là une supériorité qu’il
d u c o m m e r c e ne démontre pas seulement dans le < Milieu » ; il
d e l a la prouve partout où le poussent ou le sort ou sa
CHINE a v e c volonté, en Indo-Chine, aux Philippines, à Java,
l ' e t r a n g e r chez les Australiens ou les Yankees, à Maurice,
à Natal.
Les Chinois ont, ainsi qu’on le dit, le commerce dans le
sang. Comme s’exprime Archibald Colquhoun : t ils sont les
vrais, les réels commerçants, les négociants innés; dans toutes
les circonstances de la vie, même dans celles qui ont le moindre
rapport possible avec le commerce, on peut dire qu’ils pensent
en monnaie. Comme les Juifs, ils évaluent tout en argent.
Quelque objet qu’on leur montre pour leur instruction ou leur
admiration, leur première et leur dernière pensée, c’ëst : t combien
coûte-t-il? » Tout ce que se racontent, tout ce que discutent
ouvriers, porteurs, bateliers, paysans, c’est argent, toujours
argent.... Moins pour l’argent que pour le plaisir, la
passion du marchandage, comme le chat avec la souris, le
pêcheur avec le saumon au bout de sa ligne... car si le Chinois
est parcimonieux, il n’est pas avare ; il est plutôt généreux, au
contraire, quand l’humeur lui en prend. >
Dès qu’un Chinois des villes sait compter, lorsqu’il connaît
les caractères indispensables au minimum de relations et
d’affaires, il entreprend gaîment, délibérément un trafic quelconque,
et s’y montre d’un sérieux au-dessus de son âge, avec
toutes les ruses et déloyautés que souffre ou qu’exige le commerce,
mais aussi, du moins la plupart des observateurs le
reconnaissent, avec la plus grande fidélité de parole, dès que
l’affaire est conclue, et un grand sentiment de la responsabilité
qu’il engage.
Puis, homme fait, il devient un de ces commerçants qui ne
laissent rien au hasard, un bon calculateur, un assidu qu’entourent
des commis non moins assidus et non moins sages ; il est
d’une politesse exquise, comme tout Chinois conforme à l’esprit
de sa race, et aux préceptes de son éducation. Il est aussi
d’une patience inaltérable : il lui suffit d’avoir brûlé le matin
et de s’apprêter à brûler le soir, sur l’autel de famille, une
baguette d’encens au Dieu de la Fortune et d’attendre sans
inquiétude ni contention d’esprit la visite d’un client.
Dès que celui-ci se montre au seuil de la boutique, la
politesse chinoise reprend tous ses droits : il est accueilli par
la formule de bienvenue : « Le grand, le sublime aïeul a-t-il
bien dîné? » Puis, s’il y a lieu : « Quel est votre précieux
nom pour que j’envoie ces objets à votre noble adresse? » Et
aussi : « Si vous voulez bien faire à un infime insecte l’honneur
d’accepter de sa main une tasse de thé, je vais vous
conduire dans ma pauvre et misérable famille. »
Le malheur c’est que le Chinois étant négociant par excellence,
il y a deux fois, cinq fois, dix fois trop de commerçants
dans les grandes villes et jusque dans les bourgs; par cela
même tout commerce se divise en une foule de sou s-commerces,
toute affaire qui pourrait se traiter d’homme à homme se complique
d’une longue séquelle d’intermédiaires ; ce qui vaut dix
ou vingt centimes finit par valoir un franc, et les sous-traitants
en arrivent à gagner, chacun pour soi, plus que le travailleur
et producteur. — C’est le vice universel de la « trituration »
des échanges.
Un autre vice que suppose l’habileté commerciale, et
qu’elle fait naître chez beaucoup de ceux qui n’y sont pas naturellement
enclins, c’est l’esprit de mensonge, tel qu’il se manifeste
de mille manières dans le monde entier, par la tromperie
universelle du vendeur à l’acheteur ou de l’acheteur au vendeur,
par la louange de sa marchandise et le dénigrement de
la marchandise étrangère, par la réclame éhontée, par l’abus
ou la distorsion des textes de loi, par tout le » maquis » de la
procédure commerciale.