la Mission Lyonnaise et Monnier parlent de 80000 à 100000
(contre le double ou le triple avant les désastres de la guerre
civile et religieuse); Madrolle de 46 000, dont 30 000 dans la ville
murée, qui a 5900 mètres de tour, mais où les espaces vides
prennent autant ou plus de place que le bâti.
En s en tenant au minimum avec Madrolle, la population
flottante en fait une ville de 60 000 à 100 000 âmes. Les jours
de foire, de fête et, tous les trois ans, pendant dix journées
quand 5 000, 6 000, 7 000 bacheliers, dans autant de cellules^
« se disputent au concours les soixante-quatre titres de licencié
affectés au Yunnan », avec leur suite de parents, d’amis,
de domestiques, de fournisseurs, etc., c’est tout d’un coup
20 000 à 25 000 personnes de plus.
Yunnan sen, d’origine fort antique, est déchue de sa
grandeur passée; mais cette Yachi de Marco Polo (comme
l’admettent ‘les commentateurs) regagne un peu de sa prospérité
depuis le rétablissement de la paix. Centre de l’une des
principales régions minières du Yunnan, elle est le marché
régulateur du cuivre pour la Chine entière et possède de
grands ateliers métallurgiques : sa fabrique de monnaies,
fondée il y a plus de deux siècles, livrait au commerce avant la
guerre cent millions de sapèques par an, masse de métal qui
ne représente pourtant qu'une valeur de 100 000 francs. Au
nord-est, sur le sommet d’un monticule, se voit un temple
complètement en cuivre, jusqu’aux plaques du toit; il a été respecté
pendant la guerre, parce qu’il rappelle la mémoire du
roi national Ousankoueï, qui osa résister à Kanghi. Yunnan
sen a d autres industries que celles du métal : on y prépare des
tapis, des couvertures, des feutres, ainsi qu’une étoffe particulière
dite » satin de la mer d’orient », que Francis Garnier
croyait être tissée, du moins partiellement, des fils d’une araignée
du Yunnan méridional; cette étoffe, très renommée, est
très solide et d’un noir mat.
En attendant l’ouverture, probablement peu éloignée, du
chemin de fer d’Hanoï à Yunnan sen, qui facilitera les relations
des Français du Tonkin avec les habitants de la capitale
du Yunnan, ceux-ci peuvent admirer à leur aise un monument
des plus curieux, non par son architecture, mais par son origine.
C est la tour « commémorative élevée par le vice-roi Tse-
niuin pour célébrer des victoires à venir sur les Français »,
victoires qui consistèrent, comme résultat final, à battre en
retraite sans avoir pu s’emparer de Tuyen Quang, défendue
par les quelques centaines de légionnaires du commandant
Dominé.
Les environs de Yunnan sen se recommandent par des
sites pittoresques, de fort beaux points de vue sur le lac, le
plateau, les montagnes. Ainsi l’on admire le Tienché du haut
du Sichan (2 300 mètres), mont de la rive occidentale avec
pagodes taillées dans le roc en l’honneur du Bouddha; plus
près, au nord de la ville, on « pèlerine » fréquemment à la pagode
d’Ousan koui ou * du Palais d’Or », et à celle d’Heïlong tan
ou « source du Dragon Noir ».
Une cité qui a beaucoup de ressemblance avec Yunnan sen
par son altitude, son climat, son lac, son importance stratégique
et commerciale, Tali fou, n’a guère que 25 000 âmes
malgré ses nombreux avantages.
Elle s’est établie à plus de 2 000 mètres au-dessus de la mer,
à 3 kilomètres de la rive gauche du lac homonyme, à la base
orientale d’une chaîne de montagnes de 4000 mètres, longtemps
neigeuses.
Tali ne s’est pas encore relevée du désastre qui l’a frappée
lors de la destruction du royaume des Panthé ou musulmans
du Yunnan : beaucoup de ses rues sont encore bordées de
décombres; nombre de villages des environs laissent encore
voir ou deviner les ravages, incendies et saccagements; dans
ces malheureuses campagnes pas un arbre n’a été laissé
debout; en maints endroits toute culture a disparu sous les
ronces et les cactus épineux.
C’est à sa forte position militaire que Tali doit tous ses
malheurs : au nord, au sud, la plaine se termine par un étroit
défilé entre les montagnès et le lac, et ces deux passages,
Chang kouan au nord et Hia kouan au sud, ont été coupés de
fortifications qui font de tout le littoral de Tali une vaste
citadelle.
Au temps de Marco Polo, cette ville était, sous le nom de
Carajan (Karayang), la « capitale de Sept Royaumes » et l’un
des grands centres de la Chine méridionale; pour les tribus
environnantes, c’est une » cité sainte ».
Récemment elle a de nouveau pris rang de capitale, et
c’est là que résida le roi des mahométans, Tuwhenhsia, que
des proclamations arabes répandues dans les États voisins
désignaient sous le nom de sultan Soliman. Lors de l ’entrée
des troupes impériales en 1873, plus de la moitié des habitants
de Tali, qui étaient au nombre de 50 000, furent égorgés et le
général put envoyer à Yunnan sen vingt-quatre grands paniers
remplis d’oreilles humaines. Les faubourgs furent incendiés et
la ville à moitié détruite. Même dans les campagnes environnantes,
on évalue seulement au tiers de l’ancienne population
celle qui en occupe de nouveau les villages.