ture rapide, ces dessins ont perdu de leur exactitude, les
images sont devenues des signes conventionnels. Pour exprimer
des idées non susceptibles de représentation graphique,
ce sont également des figures conventionnelles qui composent
les caractères ; mais dans les caractères d ’origine la plus pure,
l’écriture chinoise se rapproche le plus possible du symbolisme
figuratif. Ainsi, par exemple, le caractère tsiou, qui exprime
l’idée de tristesse, de mélancolie, se compose de deux éléments
: l’image de l’automne et celle du coeur; la tristesse
mélancolique est ainsi dépeinte par une très poétique image,
l’automne du coeur. »
Bien peu de caractères chinois éveillent d’eux-mèmes l’idée
de ce qu’ils sont censés peindre.
Qui reconnaîtrait, par exemple, à la simple vue, une image
aussi peu fidèle que celle qui a la prétention de représenter les
dents, ic/ii? on peut la comparer à une cage carrée surmontée
d’un toit avec deux * cheminées, garnie de barreaux sur lesquels
deux oiseaux sont perchés ».
Qui devinerait une flûte, go, dans les dix-sept traits, pas
moins, qui nous mettent sous les regards « une maison avec
quatre petites fenêtres, et au-dessous quatre colonnes de
support »?
On n ’est donc pas aidé, dans l’étude de l’écriture chinoise,
par une conformité visible entre le mot et l’objet. On est
comme dans une forêt obscure, « alambiquée », en labyrinthes,
où l’on ne se reconnaît qu’à force de temps et d’erreurs.
Il y a du vrai dans cette observation d’Eugène Simon que :
« l’écriture chinoise étant idéographique, et chacun des signes
de cette écriture ne représentant pas seulement une lettre,
comme dans les alphabets phonétiques, ni même un mot; mais
une idée, un Chinois qui apprend à lire ou à écrire ne remplit
pas sa mémoire de mots seulement, mais d’idées qu’il doit
expliquer, commenter ou comparer : ce qui ne peut que hâter
le développement de son intelligence ». Grand avantage, peut-
être, mais trop chèrement acheté !
Les caractères se chiffrent par dizaines de milliers ; le dictionnaire
dit Tzen wei en contient 33 000 environ, celui de l’empereur
Kang-hi près de 44 500, a-t-on dit plus haut, et il ne les
contient pas tous. Il peut y en avoir en tout 50 000, quelques
uns des plus compliqués, ayant jusqu’à quatorze traits,
sinon dix-sept, dont un certain nombre appartiennent à
l’un quelconque des 214 signes fondamentaux qu’on appelle
des clés, les autres servant à modifier dans un certain sens
l’idée générale comprise dans ladite clé.
Sur ce total extrême de 50 000 signes, beaucoup ne sont
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lus en usage ; ils ont plus ou moins passé de mode et l’on
n’en a cure; ils font partie de l’histoire plus que de la réalité
couran que 5 000 signes suffisent très amplement dans
la pratique ordinaire; avec 4 500 on réussit à imprimer, disons
à graver, une bible complète. L’imprimerie chinoise du gouvernement
allemand, considérée comme pourvue au delà du
besoin, possède 10 000 caractères. C’est beaucoup plus que
n’en connaît en moyenne un bon compositeur chinois, qui ne
les prend pas à la volée dans sa casse : chacun d’eux « représentant
à la fois une idée, une syllabe, un son et un ton, on
les lui désigne oralement ». _
Tout cela est déplorablement compliqué, à l’inverse sinon
de la raison, tout au moins de la commodité, et c colossalement
» éloigné de l’idéal moderne, qui est celui d’une sténographie
intensive. Et c’est par des « trucs » seulement que
l’on peut se servir de cette « idéographie » en certaines choses
civilisées, télégraphiquement par exemple.
D’où vient l’extrême pauvreté de l’appareil phonétique des
Chinois, comparé à la multitude des choses qu’il importe d exprimer
dans une langue civilisée? D’aucuns l’attribuent à la
culture hâtive de la nation, dont la langue aurait été fixée
trop tôt par les scribes du gouvernement et les puristes des
académies. Peuple de laboureurs pacifiques et faciles à discipliner,
les Chinois n’ont pas su rompre les barrières que le
parler officiel opposait aux libres transformations de la langue.
Par l’idiome ils sont restés dans l’enfance, et combieâ la pensée,
elle-même a-t-elle dû souffrir de cet arrêt de développement
imposé par le respect du beau langage, et jusqu’à un certain
point comparable à l’atrophiement des pieds des Chinoises par
la compression des douloureuses bandelettes !
Les missionnaires bouddhistes qui convertirent les Chinois
à leur religion, tentèrent à plusieurs reprises d’introduire dans
le pays l’une ou l’autre des écritures phonétiques de 1 Hin-
doustan, dérivées de l’alphabet sanscrit.
Ces diverses tentatives n’eurent aucun résultat sérieux. De
même, des missionnaires ont employé l’alphabet latin pour
écrire des chants, des prières ou-des versets pieux que les convertis
apprennent par coeur et dont le sens leur a été expliqué
d’avance. Mais, à moins d’être surchargés de points, de traits,
de barres, d’accents et de signes de toute espèce, et d’être en
conséquence plus difficiles à comprendre que les caractères
actuels, les lettres des alphabets phonétiques, très utiles pour
le langage usuel, ne peuvent servir à la langue vraiment littéraire.