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 C H A P I T R E   H U I T I ÈM E 
 L A   L A N G U E   CHI NO I S E 
 I . MONOSYLLABISME  ET  PAUVRETÉ  DU  CHINOIS  :  
 LE  CHING.  Il  II.  ÉCRITURE  IDÉOGRAPHIQUE.  Il  III.  LENTE  TRANSFORMATION  
 DU  CHINOIS.  Il  IV.  LITTÉRATURE  CHINOISE.  Il  V.  PATOIS  CHINOIS. 
 QUOIQUE  policés depuis  tant de  siècles,  bien  
 avant l’époque  où les Occidentaux commen-  
 m o n o s y lla b ism e   cèrent  à émerger de la barbarie,  les Chinois  se  
 e t  p a u v r e t é   distinguent parmi tous les peuples  civilisés par  
 d u  c h in o is  :  la  forme  encore  rudimentaire de leur langage  : 
 l e   ching  ils  sont  restés  à  cet  égard  dans  une  période  
 de  développement  qui,  chez  les  Aryens  et  les  
 Sémites,  appartient à la période préhistorique. 
 Qu’il  soit  faux  ou  vrai  qu’on  reconnaisse  dans  certains  
 monosyllabes  chinois  d’antiques  polysyllabes  réduits  par  la  
 contraction,  les  fils  de  Han  ne  possèdent,  peu  importe  quel  
 dialecte ils parlent, au midi comme au nord, qu’un petit nombre  
 de mots,  tous unisyllabiques, n’exprimant qu’une idée générale  
 et ne prenant  de  sens  déterminé  que  dans  la  phrase :  c’est  le  
 discours  qui,  en  les  rangeant  à  la  suite  les  uns  des  autres,  
 suivant  certaines  règles  de  position  déterminée,  en  fait  des  
 noms,  des  adjectifs,  des  verbes  ou  des  particules. La  grammaire  
 se  réduit  à une syntaxe,  ce  dont  les  gens  du  Royaume  
 Fleuri ne sauraient trop se féliciter, si, comme le croit Guillaume  
 de Humboldt, l’absence de grammaire augmente la sagacité de  
 la nation chinoise, parce que  là où  il n’y a pas de  règle,  il  faut  
 raisonner chaque  cas.  En  réalité la règle de position  des mots  
 est  bien  une  règle;  mais  il  est  certain  que  l’éducation  nécess  
 aire pour arriver  à la science parfaite du placement des  mots  
 dans le discours  donne à l’esprit  une  singulière finesse,  et  contribue  
 à faire des lettrés d’admirables diplomates (Pouvourville). 
 II  se  trouve  que  de  tous  les  dialectes  parlés  et  écrits  
 en  Chine,  le  plus  pauvre  est  celui  dont  on  use  dans  la  
 capitale  du  Milieu,  à  Peking,  le  langage  dit  «  mandarin  »,  le  
 Kouan  hoa  :  il ne dispose, d’après Wade,  que de 420 monosyllabes  
 différents, de  460  d’après Wells Williams. Les  dialectes  
 de Changhaï et de Ningpo  se rapprochent du langage mandarin  
 et  ne  comprennent  guère  plus  de  mots;  mais  le  dialecte  de  
 Souatoou,  que  l’on  parle  dans  la  partie  sud-orientale  de  
 Kouangtoung,  a  674  monosyllabes,  d’après  Goddard,  et  celui  
 de Canton même  en possède  707.  Le  dictionnaire de Maclay et  
 Baldwin  en  énumère à Foutchsou  928,  dont quelques-uns  sont  
 très rarement employés. Le dialecte  le  plus  riche de  la langue  
 chinoise  est  celui  de  Tchangtcheou,  près  d’Amoï;  d’après  
 Medhurst  et  Douglas,  ses  846  mots  en  forment  plus  de  2500,  
 grâce à la diversité des intonations, qui sont, en parole chinoise  
 une sorte d’accent  tonique  bien  plus  compliqué  que  celui  qui  
 régit nos  langues  occidentales. 
 En effet,  la pauvreté  de  leur  idiome  en mots de prononciation  
 différente oblige les Chinois,  de même que  tous  les autres  
 peuples parlant  une  langue monosyllabique, à  changer le  sens  
 du  mot,  suivant  l’intonation  avec  laquelle  ils  le  prononcent.  
 Le  ching,  c’est-à-dire  la  modulation  en  ton  neutre, majeur  ou  
 mineur, décide de la signification précise du monosyllabe dans  
 la conversation  :  c’est  certainement le  tra it  le  plus  caractéristique  
 de ces  idiomes  singuliers. 
 Cette prononciation  avec modulation  chantante a  toujours  
 pour  les  Européens  quelque  chose  de  vague,  d’indécis,  et  
 varie  singulièrement  de  province  à  province,  même  en  des  
 villes  rapprochées  les  unes  des  autres. Ainsi, le  caractère  qui  
 se traduit  en français  par le mot  1  enfant  »  et qui  se rencontre  
 dans un grand nombre de noms géographiques, se prononce ts  
 dans  la Chine du  nord; à Canton,  il devient  tz ou dz;  à Macao,  
 il  se  change  en  tchi.  Le  sens  de  «  deux  »  ëst exprimé par un  
 seul  caractère; mais,  sans  aller  jusqu’en  Corée,  au  Japon,  en  
 Cochinchine,  où  la  prononciation  est  encore  différente,  on  
 entend pour ce mot les  sons divers  de 01, orl, oui, ourh, 'rh, lur  
 nge, ngi,  e, i. De même,  la  plupart des mots homophones  
 subissent  des  changements  analogues  de  sons.  C’est principalement  
 dans  le  dialecte  de  Fo'kien  que  les  sons  semblent  se  
 confondre, au désespoir de  l’étranger  surpris  à chaque mot  :  il  
 cherche  vainement  ù  distinguer  entre  i, m  et  b,  entre  h et p,  
 entre ien et ian, an et in.