Io n se trouve déjà sous le ciel de l’Inde. Haïnan est exposée
aux tempêtes tournantes, quoique à un moindre degré que
Formose; il est assez rare que des navires soient brisés sur
ses côtes.
Malgré monts, forêts, vents de mer et autres « rafraîchissements
», la dépendance insulaire du Kouangtoung n’échappe pas
entièrement à la « tropicalité * : si l’île jouit de mois froids, vraiment
agréables, surtout décembre et janvier, il est des semaines
d’été fort pénibles, avec 35'’ à l’ombre le jo u r et 28° au cours de
la nuit. Elle n ’est pas absolument salubre dans les < bas » et
l’on y subit entre temps des épidémies meurtrières, des choléras,
des pestes buboniques.
Les auteurs chinois, en parlant de la population de Haïnan,
comparent l’île à un cercle entouré de deux anneaux concentriques.
Au milieu vivent les aborigènes, au pourtour il y a les
Chinois et dans la zone intermédiaire habitent les indigènes
civilisés.
C’est qu’elle n ’est pas la Chine même, mais une colonie de
la Chine, vieille d’ailleurs de deux milliers d’années.
Les colons qui depuis ces deux millénaires assimilent lentement,
mais sûrement, Haïnan au Grand et Pur Empire, ayant
été de tout temps supérieurs en puissance, richesse, politesse
et civilisation aux indigènes à côté desquels ils prenaient
place, ont naturellement, traité ceux-ci de sauvages, de brutes,
ou d’abrutis. Ils les ont désignés sous le nom général de Si’
ou Loï, et les ont divisés en deux classes suivant qu’ils ont ou
n’ont pas adopté les moeurs chinoises', et selon qu’ils reconnaissent
ou ne reconnaissent pas la domination de Peking,
représentée ici par le vice-roi des deux Kouang. Les adhérents
à la Chine sont Chou, c’est-à-dire « cuits », ceux qui se rebiffent
encore contre elle sont Chen, Song, Chang, Tchouang c’est-à-
dire « crus ».
Ainsi « crus » ou * cuits », autochtones d’Haïnan ou censés
tels comme les Saï, ou originaires du continent comme les
Miou, ces sauvages tiennent le « haut », le centre, la montagne,
et les Chinois le » bas », les vallées, la terre arrosée, le littoral,
surtout le nord et le nord-est.
Les Saï valent qu’on aille les voir; peuple intéressant
qui, fuyant devant la mer chinoise, lui a finalement échappé
jusqu à maintenant, moyennant une perte notable de territoires.
Retranché dans le mont, il y vit encore dans l’intégrité de
ses moeurs et parle toujours sa langue nationale. C’est même
en cela qu’il manifeste le plus d’indépendance, car malgré lui,
mais il le faut bien, il ne peut pas ne pas perdre, par degrés
infinitésimaux, quelque peu des idées, des manières de faire,
de la * chinoiserie » qui l’entoure et avec laquelle il commerce
des choses indispensables à la vie. Le Chinois, qui n’est pas
brave, du moins pas soucieux de s’exposer, « reste dans sa
vallée,... mais le Saï lui apporte ses produits; il échange le riz
rouge, les bois médicinaux, les paillettes d’or, le coton, ce
qu’il tire de ses forêts contre du poisson, du sel, des tissus,
des poteries ».
M. Madrolle, le seul voyageur qui ait réellement parcouru
Haïnan, dont il a vu l’intérieur et fait tout le tour, nous les
décrit en quelques mots : * Leurs cheveux sont enroulés
au-dessus de la tête, ou ramenés en forme de chignon pointu
au-dessus du front; leur teint est plus foncé que celui des
peuples qui les entourent, et leur apparence plus robuste.
Couper des bois, garder les troupeaux, aller à la chasse et cultiver
le riz rouge de montagne sont les principales occupations
des Saï. La femme travaille aux champs, soigne les animaux et
vaque aux soins du ménage. Son costume consiste en un
pagne, du genre de ceux d’Afrique, mais plus finement travaillé,
et une veste flottante. L’homme fait les courses dans les villages
chinois, qu’il a soin de visiter en compagnie nombreuse.....
Le plus vêtu de ces montagnards est celui qui porte une sorte
de sac serré à la ceinture, mais le plus grand nombre ne porte
rien. Le Saï s’est acquis la réputation d’un habile tireur, et le
gibier, très abondant en montagne, lui donne maintes occasions
de bander son arc. »
A côté des Saï, que Madrolle suppose au nombre de 100 000,
vivent les Miou, 5 000 seulement, arrivés jadis du Kouangsi, dès
avant l’invasion chinoise, c’est-à-dire depuis plus de 2 000 années,
les premiers a fils de Han » ayant fait leur apparition en
l’an 108 avant l’ère vulgaire, et ayant immédiatement colonisé
l’île, par 23 000 familles, dit-on.
Quant aux envahisseurs d’il y a deux mille ans, ils sont
maintenant 1 700 000, suivant l’estimation de Madrolle, et ils
seraient bien plus encore si les pirates, naguère très nombreux
dans ces parages, n’avaient fait de fréquentes incursions dans
l’île et même ne s’y étaient établis à demeure, nulle partie de
la Chine n’étant mieux située pour leur permettre d’attaquer
à l’improviste les navires de passage et de se dérober aux
poursuites. Mais les colons, presque tous originaires du
Fo’kien et du Kouangtoung, ainsi qu’en témoignent leurs dialectes
locaux, n’ont jamais eu rien à craindre de la part des
timides indigènes, et les ont refoulés sans peine dans 1 intérieur;
l’atmosphère pestiférée des étangs qui parsèment la