Les Peï ou Paï (Payi, Payu), aborigènes qui vivent dans les
parties méridionales et sud-occidentales du Yunnan, surtout
dans le bassin du Salouen, se divisent, suivant la région qu’ils
habitent, en Peï des montagnes et en Peï des rivières. D’après
la tradition, ils auraient habité autrefois les bords du Yangtze
kiang, d où les aurait graduellement refoulés la poussée de
l’immigration chinoise.
Voisins des Lolo et parents des Gban, d’origine siamoise
par conséquent, ils ne se mêlent ni à ceux-ci, ni à ceux-là.
Ils préfèrent vivre dans des villages séparés dont les maisons
ne sont pas couvertes de toits à la chinoise, mais de terrasses
semblables à celles des Tibétains et des Miaotze. Les
Peï ont la peau beaucoup plus blanche que les Chinois et,
comme les Lolo, se distinguent des immigrants du nord par
leur force physique. Tous se percent le lobe des oreilles pour
y placer soit un cylindre d’argent, soit un tube de bambou,
ornement que les femmes remplacent par des cigares ou des
bouchons de paille; elles fument presque toutes le tabac, tandis
que les hommes ont pris l’usage de l’opium. Les femmes des
tribus peï sont actives, sans la brusquerie de mouvements que
Ton remarque chez la plupart des femmes lolo, et sont d’excellentes
ouvrières pour le tissage et même pour le travail d’orfèvrerie.
Par le langage et probablement par la race, les Peï, de
même que les Khamti, se rapprochent des Laos de l’Indo-Chine,
tandis que les Lolo parlent divers dialectes plus ou moins
mélangés de barman, de chinois, de tibétain et se rattachant
probablement à ce dernier idiome.
Une tribu, parente des Peï, les Papé, est le reste d’une
nation, jadis puissante, que les annales nous disent avoir été
condamnée par les « Fils du Ciel » à lui envoyer en tribut des
objets d’or et d’argent, des cornes de rhinocéros et des défenses
d’éléphant : la faune des grands mammifères aurait donc
changé dans le pays depuis un petit nombre de siècles.
Ni les Peï ni les Papé n’ont d’idoles ; mais quand ils viennent
chez les civilisés, ils entrent volontiers dans les temples,
font des offrandes et brûlent des parfums comme les autres
fidèles ; ceux d ’entre eux qui savent écrire n’emploient que les
caractères chinois.
Quelle que soit l’énergie de plusieurs des peuplades non
chinoises du Yunnan, qu’elles ne contractent pas d’alliances
matrimoniales avec les Chinois, ou qu’elles en contractent le
moins possible comme les Lolo, qu’elles acceptent déjà, contraintes
et forcées, ou bravent encore la civilisation chinoise,
celle-ci fait peu à peu tache d’huile : sa supériorité lui donne
trop d’avantages pour qu’elle n’ait pas définitivement raison de
ces nations, même de la grande nation des Lolo, à laquelle il
a fallu et il faut toujours abandonner du territoire devant l’ascension
du flot envahisseur. Ce qu’il leur reste de leur autonomie
passée c’est, çà et là, des tonse ou < maîtres de la terre »,
chefs héréditaires qui sont de leur race.
Aussi, bien que lentement, les types originaires s’effacent
graduellement par les mélanges. Diverses peuplades sont nées
de ces croisements, et dans le nombre il en est plusieurs qui,
tout en n’ayant d’autre langue que le chinois, rappellent encore
la provenance indigène par la vigueur de leurs muscles, leur
esprit d’indépendance et leurs coutumes rustiques : « Nous ne
sommes pas Chinois, disent-ils fièrement; nous sommes du
Yunnan. » ,
En maintes occasions ils se sont rangés du côté des
rebelles mahométans ou indigènes pour se débarrasser des
mandarins. Ils diffèrent aussi des * enfants de Han » par leur
esprit jovial et leur amour de la musique : presque tous les
muletiers ou conducteurs de charrettes portent des mandolines
en bandoulière, et dès que leurs chevaux sont en marche, ils
accompagnent le bruit des grelots du son de leur aigre
musique. On pourrait se croire en Espagne; comme les muletiers
de Castille, ceux des plateaux du Yunnan portent un veston
court aux boutons d’argent, mais un large turban s’enroule
autour de leur tête.
Dès l’époque des premiers Mérovingiens, la Chine avait
autorité dans le Yunnan par l’intermédiaire d’un prince venu
du Setchouen occidental; puis intervint sans hâte l’immigration,
surtout de cette même province de Setchouen, et peu à
peu la miscégénation. Venus, dit Leclère, à la suite de 1 administration
chinoise, les Yunnanais n’ont pas le dialecte spécial
du Sud; ils parlent, sauf quelques différences d’accent, la
langue mandarine officielle. Ainsi en est-il dans tous les pays
de colonisation : les Russes de Sibérie usent du grand russe,
bien que pour la plupart natifs de la Petite Russie, et les Algériens
parlent le pur français, quoique le plus grand nombre de
beaucoup provienne des départements de la Provence et du
Languedoc, comme aussi de la Corse.
A vrai dire, le dialecte c mandarin » du Yunnan, apporté
dans cette province comme dans celle du Koeïtcheou par les
colons du Setchouen, n’est pas absolument semblable à
l’idiome de Peking : il s’en distingue, entre autres variantes,
par l’affixation du g devant certains monosyllables et la muta